Affaire dite d’Adeline: le Conseil d’Etat désavoué

JUSTICE • A deux semaines du jugement de Fabrice A., l’assassin de la sociothérapeute de la Pâquerette, la Cour de justice blanchit la directrice qui a autorisé la sortie du multicécidiviste et tance l’Etat. Recours possible.

  • La mise en liberté d’un détenu dangereux, accompagné d’une sociothérapeute, secoue le monde politique. DR

    La mise en liberté d’un détenu dangereux, accompagné d’une sociothérapeute, secoue le monde politique. DR

A quelques jours du retentissant procès de Fabrice A., l’assassin d’Adeline, sociothérapeute de la Pâquerette, la Cour de justice vient de tancer fermement le Conseil d’Etat pour avoir sanctionné la directrice du Service de l’application des peines et mesures (SAPEM) qui a autorisé la dramatique sortie accompagnée du détenu. La directrice avait écopé d’une perte de son statut de fonctionnaire pendant 2 ans. Pierre Maudet, conseiller d’Etat en charge de la sécurité avait même proposé sa révocation, alors que l’enquêteur la blanchissait.

Crime sordide

Bref rappel du sordide crime: quelques heures après sa libération pour une journée de thérapie équestre à Bellevue, Fabrice A. multirécidiviste du viol, a ligoté sa sociothérapeute dans une forêt, l’a malmenée en la forçant à l’embrasser puis l’a froidement égorgée… avant de prendre la fuite vers la Pologne (lire ci-dessous).

Rebondissement

Dans son arrêt du 30 août dernier, que GHI a pu se procurer, la Cour de justice relève que le magistrat Pierre Maudet, interviewé lors d’une émission Mise au point à la RTS, a admis qu’il connaissait bel et bien la loi qui veut que ce soit son département qui est compétent pour apprécier le caractère dangereux des détenus ayant commis des infractions graves et par conséquent pour autoriser les sorties. Contrairement à ce que soutenait le Conseil d’Etat, la Cour de justice a considéré que cette compétence avait été déléguée implicitement «de manière constante et pérenne» au SAPEM.

Directrice qualifiée

La Cour de justice a encore relevé que tous les témoins entendus ont loué les compétences, le professionnalisme, l’indépendance et le souci de la sécurité publique de la directrice. Cette juridication a retenu «qu’elle a apporté tout le sérieux nécessaire à l’analyse approfondie de la situation du détenu et qu’elle avait la conviction, à l’instar des autres professionnels, que Fabrice A. n’était pas dangereux et qu’il pouvait sortir accompagné.» Pour sa part, Me Robert Assaël, avocat de la directrice, ne souhaite pas faire de déclarations: «Par respect pour la famille de la défunte, ma cliente ne souhaite pas faire de commentaires, l’arrêt parlant d’ailleurs de lui-même.»

Tourmente politique

L’atroce assassinat d’Adeline, mère d’une fillette de 8 mois, par un détenu dangereux, avait, en plus de l’aspect pénal, secoué le monde politique. Des voix s’étaient élevées pour remettre en question la prise en charge des détenus dangereux. En plus de l’enquête pénale, trois enquêtes administratives ont été ordonnées pour faire la lumière sur ce drame. Elles ont été confiées à l’ancien conseiller d’Etat Bernard Ziegler au professeur Benoît Chappuis et à l’ancien juge vaudois Jean-Pierre Lador. Ce dernier expert a conclu que la directrice n’avait pas enfreint ses devoirs de service. En parallèle, le Conseil d’Etat devra encore se prononcer sur les conclusions de ce troisième rapport. «Comme annoncé début septembre, le Conseil d’Etat se réserve la possibilité recourir dans le délai de 30 jours à compter de la réception de l’arrêt du 6 septembre dernier», confirme le département de la Sécurité. Enfin, parallèlement, une commission d’enquête parlementaire doit analyser toutes les responsabilités. Le rapport est attendu pour janvier 2017.

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Adeline, piégée, ligotée et égorgée

L’assassinat d’Adeline, le 12 septembre 2013, a bouleversé le pays. Fabrice A., condamné à 20 ans de prison cumulés pour deux viols, avait obtenu la permission de faire une sortie thérapeutique accompagnée dans un centre équestre de Bellevue. Il avait pris la précaution que ce soit sa thérapeute, en l’occurrence Adeline, qui soit avec lui pour cette sortie de la Pâquerette située dans l’enceinte de la prison de Champ-Dollon. Le but de cette sortie était de le préparer à une éventuelle libération conditionnelle. Une fois parti dans la voiture d’Adeline, il demande à se rendre dans une coutellerie de Carouge pour changer un couteau qu’il avait acheté sur internet. Il avait prétexté avoir besoin du changement de l’outil pour curer les sabots des chevaux. Fabrice A. et Adeline n’arriveront jamais au centre équestre. La police a lancé une alerte, suivi immédiatement d’un avis de recherche international. Le lendemain, le drame: la sociothérapeute a été retrouvée égorgée, attachée à un arbre, dans un bois tout proche du centre équestre. Quant à l’accusé, il a été arrêté après trois jours de traque intense, en Pologne, près de la frontière allemande. Il avait l’intention de retrouver son ex-amie polonaise, qu’il voulait reconquérir. Une amie qui ressemblait beaucoup à Adeline…