«A Genève, les chauffards ne sont pas des meurtriers!»

JUSTICE • Après des rodéos routiers mortels, pourquoi le meurtre par dol éventuel n’est-il jamais appliqué à Genève? Interview du pénaliste Me Robert Assaël.

  • Me Robert Assaël a défendu des victimes des rodéos routiers de Perly et Vernier. DR

    Me Robert Assaël a défendu des victimes des rodéos routiers de Perly et Vernier. DR

Genève ne condamne pas les chauffards de la route pour meurtre par dol éventuel. Les rodéos routiers meurtriers, qui ont défrayé la chronique ces neuf dernières années, comme les drames de Perly, quai du Mont-Blanc, des Charmilles et de Vernier, ont toujours été jugés comme un simple délit alors qu’Outre-Sarine, les chauffards sont condamnés comme des meurtriers et écopent de sentences allant jusqu’à 7 ans de prison ferme. Dernier exemple en date? Le rodéo mortel de Vernier de 2012, qui a provoqué la mort d’un agent de sécurité, carbonisé dans son véhicule. Le Tribunal fédéral a confirmé, début mai, le jugement genevois: les deux chauffards sont condamnés pour homicide par négligence à 3 ans de prison dont 6 mois fermes, et non pas pour meurtre par dol éventuel, qui constitue un homicide intentionnel. Me Robert Assaël, pénaliste qui a défendu la famille de la victime de Vernier, analyse la particularité genevoise. Interview.

–GHI: Pourquoi le qualificatif de meurtre par dol éventuel n’a-t-il pas été retenu dans l’affaire du rodéo de Vernier?

– Me Assaël: Le Tribunal fédéral (TF) a estimé qu’il n’y avait pas eu une course-poursuite car les protagonistes ne se connaissaient pas, que l’interaction entre eux n’a duré que quelques secondes. De plus, un des chauffards avait adopté une conduite complètement inadaptée bien avant de s’approcher de l’autre et ne voulait que rentrer chez lui.

– Circuler trop vite, alcoolisé et drogué ne constitue donc pas un délit d’intention?

– Pour le TF, on pouvait, selon l’expert, rouler à 120 km/h sans encombre sur cette route limitée à 60 km/h que connaissaient les chauffards. Dès lors, l’accident mortel n’est pas forcément une suite logique et inévitable des graves infractions de la route. Le meurtre par dol éventuel ne pouvait être retenu.

– Que pensez-vous de ne pas punir assez sévèrement ces chauffards, Genève serait-elle frileuse?

– La dernière décision dans l’affaire du rodéo mortel de Vernier ne fait qu’attiser les souffrances infinies de la famille de la victime. Comment peut-elle accepter que le chauffard, fortement alcoolisé et sous l’effet du cannabis, qui est rentré à plus de 100 km/h dans le véhicule de la victime à l’arrêt, n’a commis qu’une imprudence? C’est choquant et intolérable! Combien de morts faudra-t-il encore pour que les juges réprimandent vraiment ceux qui méprisent autant la vie d’autrui, confondant la route avec un circuit de F1 ?

L'ivresse des jugements

Pour retenir le meurtre par dol éventuel, le juge doit examiner la volonté de l’auteur au moment des faits. Cette infraction extrême pour un conducteur désigne, en effet, un qualificatif qui signifie que si les chauffards n’ont pas pris le volant dans le but de tuer, ils ont en revanche conscience des risques de leur comportement. Dans l’affaire de Vernier, pour les juges fédéraux de Mon-Repos, si les deux chauffards ont bien commis de nombreuses infractions routières graves, ils ne sont pas pour autant des meurtriers de la route. En effet, pour eux, l’excès de vitesse sur une route qui ne leur est pas étrangère, atténue la gravité de l’infraction. Rappel des faits. Le 29 décembre au petit matin, Aziz, agent de sécurité, rentrait de son travail, lorsque, à l’arrêt, il a été percuté de plein fouet par un véhicule qui faisait une course effrénée à 120 km/h sur la route de Vernier. L’un des chauffards de ce rodéo routier était ivre et drogué, le second était un récidiviste des excès de vitesse. De de son côté, le Ministère public genevois prend acte de l’arrêt du Tribunal fédéral.