«Nous ne pouvons pas exclure d’ouvrir d’autres abris»

REQUÉRANTS D’ASILE • Furieux, le magistrat Mauro Poggia remet les pendules à l’heure sur l’épineux dossier des migrants à Genève. Interview.

  • Des terrains inoccupés pourraient accueillir des habitations modulables. DAVID ROSEMBAUM-KATZMAN

    Des terrains inoccupés pourraient accueillir des habitations modulables. DAVID ROSEMBAUM-KATZMAN

– GHI : On vous a vu très fâché au Grand Conseil, jeudi 12 mars, au sujet de la motion visant à interdire l’hébergement prolongé de requérants d’asile dans des abris de la protection civile (PCi). Vous n’acceptez pas les critiques?

– Mauro Poggia: J’accepte les critiques mais constructives. Dissimuler la réalité des chiffres pour faire croire que les Genevois méprisent les réfugiés et se comportent quasiment comme des tortionnaires est injurieux, irresponsable et contreproductif. Nous devrions être fiers de notre politique d’accueil et de notre tradition humanitaire.

– Quelle est la réalité des chiffres?

– Au 31 janvier, il y avait 5237 personnes suivies par l’Aide aux migrants, dont 934 étaient logées dans des appartements ou des foyers et 1783 en logements individuels gérés par l’Hospice général. Sur le solde de 2520 personnes logées en hébergements collectifs, seules 125 se trouvaient réparties dans deux abris. Ce chiffre a encore baissé, il se monte à environ 110 personnes. L’Hospice général fait un travail remarquable. Discréditer ce travail, c’est nuire gravement à la motivation du personnel.

– Mais loger des requérants dans des abris est-ce humainement acceptable?

– Non. Tant l’Hospice général que le Conseil d’Etat reconnaissent qu’au-delà de quelques mois cela pose des problèmes humains. Néanmoins, il s’agit de savoir de quoi on parle. Les personnes qui vivent dans les abris sont exclusivement des hommes célibataires. Il n’y a ni femmes, ni enfants, ni familles. Je rappelle aussi que ces abris ont été initialement prévus pour héberger, provisoirement certes, la population résidente en cas de crise, les cours de répétition ou les manifestations sportives.

– Pourquoi l’Etat n’a-t-il pas anticipé?

– Dans les années 90, lors de la guerre en ex-Yougoslavie, neuf abris étaient ouverts à Genève. Il s’agit donc de ne pas instrumentaliser ou exagérer la situation actuelle.

– Plus concrètement?

– En été 2013, il y avait deux abris ouverts. Puis un, puis deux à nouveau. Depuis le début de cette législature, la recherche de terrains pour y placer, même provisoirement, des habitats modulables est une priorité. Chacun connaît l’importance de la pénurie de logements. Si on avait des terrains constructibles, nous n’en serions pas là. La mise en œuvre de solutions est aussi rendue très complexe car chacun est conscient qu’il faut répondre au problème, mais en aucun cas «à côté de chez soi».

– Quelles sont vos solutions?

– Parallèlement à la rénovation, voire à la démolition-reconstruction de lieux d’hébergements actuels, nous avons identifié des terrains pouvant accueillir des habitations modulables. On peut aussi imaginer, provisoirement, utiliser des terrains sur lesquels des projets immobiliers sont retardés de plusieurs années. Compte tenu des prévisions d’arrivées de 168 réfugiés syriens en cours d’année et de la hausse du nombre de requérants, je compte sur une prise de conscience collective.

– Sans cela?

– Nous ne pouvons exclure de devoir ouvrir d’autres abris de la protection civile, ce qui ne serait souhaitable ni humainement, ni financièrement.

– Une trève constructive peut-elle être atteinte dans le climat délétère qui règne autour de cette problématique des migrants?

– Oui. Je demande à celles et ceux qui sont sensibles à cette problématique de devenir une force de propositions réalistes plutôt qu’une force de dépréciation. Le meilleur moyen de réaliser l’intégration de réfugiés est encore de les accueillir au sein de la population. Un millier de personnes hébergées dans des logements de l’Hospice général sont titulaires de permis B et C ou ont même acquis la nationalité Suisse. Cela confirme la nécessité de construire activement des logements pour nos résidents, ce qui libérera des places pour les nouveaux arrivants.