Assainir les bâtiments: mission impossible

- D’ici au 31 janvier, tous les immeubles doivent passer au double vitrage.
- De nombreux spécialistes estiment ce délai beaucoup trop court.
- Une fois la date butoir dépassée, le canton sanctionnera les retardataires.

«Cette date butoir va inciter des entreprises étrangères à faire leur chiffre à Genève»

Serge Hiltpold, président de la Fédération des métiers du bâtiment

Il ne reste que quelques mois aux propriétaires genevois pour remplacer les fenêtres à simple vitrage, celles à double vitrage montées sur des menuiseries en aluminium non isolantes ou encore certaines vitrines de magasins. Passé le délai du 31 janvier 2016, les premières amendes vont tomber et des travaux d’office seront exigés par l’Etat.

Absurde

Une situation totalement absurde, selon Serge Hiltpold, président de la Fédération des métiers du bâtiment et administrateur de la menuiserie portant son nom: «La date imposée par le canton est irréaliste. Nous n’arriverons pas à effectuer l’ensemble des travaux car la capacité de production de nouveaux vitrages ne peut être infiniment augmentée. Cette date butoir incite de nombreuses entreprises vaudoises, valaisannes ou même étrangères à venir arrondir leur chiffre d’affaires à Genève. Il serait bien plus judicieux d’accorder un délai, nous pourrions ainsi étaler les travaux, on ne va tout de même pas remplacer les fenêtres l’hiver prochain!»

L’Etat inflexible

Un professionnel de l’immobilier, qui a souhaité conserver l’anonymat, ironise: «L’Etat n’est pas à jour avec ses propres bâtiments, comment peut-il donner des leçons aux petits propriétaires! C’est une situation kafkaïenne.»

Malgré les manifestations de mécontentement, Olivier Epelly, directeur général de l’Office cantonal de l’énergie, n’entend pas faire preuve d’une grande flexibilité. Au contraire, il met en garde les propriétaires qui seraient tentés par un certain laxisme: «S’ils ne respectent pas l’échéance d’assainissement, ils s’exposent, sauf dépôt d’une demande de dérogation ou de prolongation avant le 31 janvier 2016, à des amendes ou à des travaux d’office. De nombreux propriétaires n’ont pas attendu la communication récente faite sur le délai pour assainir leurs fenêtres, car l’obligation remonte à 1989.»

Et pour la Ville?

Cette course contre la montre concerne aussi le parc immobilier appartenant aux communes. «La ville de Genève comptabilise environ 800 bâtiments, dont un certain nombre ne sont pas aux normes», explique Claude-Alain Macherel, codirecteur du Département des constructions et de l’aménagement. «Prenons l’hypothèse que l’on ait les moyens financiers, estimés à quelques dizaines de millions de francs, les fournisseurs et les entreprises n’auraient pas le temps d’effectuer les travaux dans les délais. Ensuite, il y a la question des gros bâtiments à forte inertie, comme le Musée d’art et d’histoire, beaucoup plus difficile à isoler. Je ne veux pas aller contre cette loi, qui est là et qui a le mérite d’exister, mais nous sommes dans un combat négocié avec le canton. Enfin, il est stupide de remplacer uniquement pour remplacer, sans avoir une vision globale du bâtiment. Certains ont plusieurs siècles et ont été construits avec intelligence. Composé généralement de murs très épais et comprenant de faibles surfaces vitrées, on ne peut pas les rendre étanches du jour au lendemain, car cela risquerait de les rendre rapidement insalubres.»

Enjeu énergétique

Reste à savoir combien d’immeubles devront être remis aux normes. Pour l’heure, le canton n’a pas de chiffres précis. Mais, d’après les sondages réalisés par l’Union suisse des professionnels de l’immobilier (USPI), cela concernerait plusieurs milliers de bâtiments. Christophe Ogi, architecte au sein de l’association Pic-Vert Assprop.ge, qui défend les intérêts des propriétaires individuels (voir encadré) a son idée sur la question: «On doit facilement dépasser les 20’000 cas, cela prouve la taille des travaux. Mais je pense que le but est surtout de lancer le mouvement d’assainissement.» L’enjeu est, en effet, conséquent. Le parc immobilier genevois consomme la moitié de l’énergie utilisée et produit deux tiers des émissions de CO2 du le canton. C’est dans ce domaine que l’amélioration de l’efficacité énergétique et l’utilisation de sources d’énergies renouvelables ont un énorme potentiel. Selon les estimations cantonales, cet assainissement devrait représenter une moyenne de 15% d’économie d’énergie.

Fin mai, les premières fenêtres ont commencé à être changées au Lignon. KRI SA / DR

Les villas majoritairement concernées

FaBo • Les maisons individuelles ou mitoyennes représentent une part importante des constructions concernées. «J’estime à environ 15’000 les villas qui devront subir des travaux, précise Christophe Ogi. Le problème est que ce sont souvent des personnes âgées qui les occupent et elles n’ont pas forcément 10’000 ou 15’000 francs à débourser. Du coup, elles ont décidé d’y renoncer et préfèrent se dire qu’elles paieront une amende.» A noter que les propriétaires de bâtiments d’habitation comportant moins de cinq logements situés sur le canton de Genève ont la possibilité de solliciter un éco-conseil subventionné. Ce diagnostic personnalisé permet d’apporter une expertise globale sur les actions susceptibles d’améliorer l’efficacité énergétique d’un bâtiment. Partiellement financés par l’Etat de Genève, ces diagnostics sont dispensés par des éco-conseillers agréés ayant suivi une formation spécifique.