«Nous effectuons 4000 contrôles par année sur les chantiers et nous constatons 1700 infractions»
François Vittori, inspecteur au sein de la Fédération genevoise des Métiers du Bâtiment
Fenêtre non étanches, eau qui s’accumule sur les balcons, parties communes bâclées, carrelage ébréché, le rêve de devenir propriétaire peut vite virer au cauchemar. Christophe Aumeunier, secrétaire général de la Chambre genevoise immobilière, s’en défend: «Je n’ai pas encore eu d’alerte d’une augmentation du nombre de malfaçons. C’est vrai, cependant, que certaines branches comme celle de la gypserie peinture sont fragiles, mais les maîtres d’ouvrage ne se laissent pas faire et peuvent exiger des retouches.»
Ouvriers sous-payés
Pour notre enquête, nous avons aussi rencontré le directeur d’une banque nationale. Son opinion est radicalement différente: «Pour devenir propriétaire, il vaut mieux acheter un bien déjà construit car la qualité des réalisations récentes est tout simplement déplorable. Des ouvriers sont sous-payés et effectuent un travail de piètre qualité.»
Pour comprendre cette situation, il faut au préalable en saisir sa complexité. Il y a d’abord l’explosion des emplois de courte durée à Genève, leur nombre a passé la barre des 30’000 en 2014 alors qu’ils n’étaient que 12’100 en 2005. Issus des 28 pays de l’Union européenne, ces nouveaux travailleurs, principalement masculins, arrivent sans permis pour une durée maximale de 90 jours par année. La majorité de ces employés précaires travaille dans le bâtiment. Cette hausse cache souvent une sous-enchère salariale, sans compter les ouvriers non-déclarés.
Contrôles sur les chantiers
Pour François Vittori, inspecteur au sein de la Fédération genevoise des Métiers du Bâtiment (FMB), il est temps de tirer la sonnette d’alarme: «Nous effectuons 4000 contrôles par année sur les chantiers genevois et nous constatons 1700 infractions, cela démontre l’ampleur du phénomène. Les fraudes concernent souvent des cotisations sociales impayées, des conditions de sécurité pas respectées et certaines heures de travail non déclarées. Ce ne sont pas les seuls problèmes, il y a aussi des patrons qui se mettent en faillite et recréent une entreprise au nom de leur cousin ou de leur femme, le droit des sociétés est trop libéral!»
Conditions de travail difficiles
Dans un contexte où l’appât du gain l’emporte parfois sur la qualité de la construction, les employés sont souvent les premières victimes. C’est le cas de Viorel*, un ouvrier roumain de 22 ans: «Je suis à Genève depuis 4 mois, mais les conditions sont vraiment difficiles. On nous traite comme des animaux, on dort dans des baraquements et on se fait constamment humilier. C’est vrai qu’il y a souvent des problèmes sur les chantiers, mais on ne nous laisse pas le temps de faire les choses correctement.» Un avis partagé par José Sebastiao, secrétaire syndical chez Unia Genève: «Les ouvriers vivent parfois à 3 dans une minuscule chambre pour un salaire mensuel de 1000 francs suisses, ils sont tout simplement exploités!»
Pour Nicolas Rufener, secrétaire général de la FMB, il convient cependant de nuancer la situation: «Je dirais qu’elle est alarmante, mais pas dramatique. Il ne faut pas oublier que la majorité des entreprises respectent les règles. Malheureusement, c’est un secteur qui est dirigé par la demande et donc par le prix le plus bas. Certains se fichent éperdument de la qualité de la construction.»
Sous-traitance en cascade
L’autre pratique à la mode est celle de la sous-traitance en cascade. Une entreprise obtient un contrat de construction qu’elle sous-traite à une autre société. Il arrive souvent que cette chaîne infernale de sous-traitance concerne 4 ou 5 entreprises avec une absence totale de visibilité sur la bonne marche du chantier. En l’espace de quelques années, ces astuces imaginées par des patrons peu scrupuleux sont parvenues à entacher la réputation d’un secteur qui était pourtant l’un des fers de lance du savoir-faire genevois et suisse.
* nom connu de la rédaction