Entreprises sommées d’engager des apprentis

- Les socialistes déposent un projet de loi visant à booster l’offre des places d’apprentissage.
- Former des jeunes ou payer, le texte met les entreprises en demeure de choisir.
- Sceptiques, les milieux patronaux jugent la mesure irréaliste et contreproductive.

  • La formation professionnelle duale, une filière à revaloriser. STEF

    La formation professionnelle duale, une filière à revaloriser. STEF

  • La formation professionnelle duale, une filière à revaloriser. ISTOCK/MONKEYBUSINESSIMAGES

    La formation professionnelle duale, une filière à revaloriser. ISTOCK/MONKEYBUSINESSIMAGES

«Moins de 10% des entreprises embauchent des apprentis»

Romain de Sainte Marie, député socialiste

Le constat de départ est sans appel. «Genève est le canton suisse où la proportion d’entreprises formatrices est la plus faible du pays», assène d’emblée le député socialiste Romain de Sainte Marie. «Même si l’offre s’est stabilisée ces dernières années, moins de 10% des entreprises embauchent des apprentis. A titre de comparaison, la moyenne nationale est d’environ 17,4%. Elle est de 15,1% à Zurich et atteint carrément les 22,1% à Berne.»

Lutte contre l’exclusion

De quoi s’interroger. «La force du système de formation suisse repose sur la formation professionnelle duale. Un système que de nombreux pays nous envient. Le pourcentage de jeunes choisissant une formation professionnelle au niveau secondaire était de 41,9% en 2008 à Genève. A la même époque, la moyenne suisse se situait à 73,3%. Cet écart est trop important et inquiétant. Il faut revaloriser la filière», poursuit le député socialiste. Avant de détailler: «La formation est en effet un critère crucial dans la lutte contre le chômage élevé à Genève. Le manque de relève adaptée aux besoins du marché de l’emploi est aussi un problème sérieux pour les entreprises. Mon projet de loi, déposé au Grand Conseil le mardi 28 octobre, entend corriger le tir.»

Jouer le jeu

Concrètement, quelles mesures inciteront les entreprises à créer davantage de places d’apprentissage pour des jeunes âgés entre 15 et 20 ans? «Soit les entreprises embauchent des apprentis, soit elles passent à la caisse en payant des taxes supplémentaires», résume Romain de Sainte Marie. Avant de préciser: «Les employeurs qui engagent au minimum 1% d’apprentis seront exonérés de la totalité de la cotisation en faveur de la Formation Professionnelle et Continue (FFPC). Elle se monte à environ 29 francs par employé et par an aujourd’hui. Pour les autres, le supplément pourrait être de 100%», explique-t-il. Particulièrement visées par le socialiste, les moyennes et grandes entreprises. «Les petites entreprises participent davantage à l’offre de places d’apprentissage que celles de plus de 100 salariés, justifie-t-il. Or, compte tenu de leurs ressources, ces dernières peuvent engager plus facilement.»

Recettes supplémentaires

Reste à évaluer l’impact financier du projet de loi. «Il n’aura aucune incidence sur le budget de l’Etat», affirme Romain de Sainte Marie. «Même si le pourcentage d’entreprises accueillant des apprentis est appelé à augmenter, ce n’est toujours qu’une minorité qui sera exonérée de cotisation. En revanche, les nouvelles taxes devraient générer, à terme, des recettes supplémentaires. Bien entendu, celles-ci seraient allouées à la promotion de l’apprentissage auprès des jeunes et à l’aide à la création de places dans les entreprises.»

Scepticisme patronal

Sans surprise, le projet de loi socialiste ne fait pas bondir de joie le patronat. «Le principe de vouloir créer plus de places d’apprentissage est louable mais la méthode pour y parvenir est idéaliste et pas assez aboutie», juge Frank Sobczak, directeur de la formation à la Fédération des Entreprises Romandes Genève (FER Genève). «Rappelons que les places d’apprentissage dual sont passées à Genève de 4757 en 2007 à 5385 en 2012. Elles concernent environ 25 métiers qui ne rencontrent pas tous le même engouement chez les jeunes. Actuellement, le système est solidaire. Que le secteur d’activité soit porteur ou non, tous les patrons paient une cotisation en faveur du fonds cantonal de la FFPC. Avec le projet de loi, on prend le risque de créer des injustices et de pénaliser, par exemple, de jeunes entreprises ou des sociétés dont le secteur d’activité ne passe pas prioritairement par l’apprentissage.»

Effets pervers

Ramener la formation d’apprentis à une contrainte financière est également une simplification excessive pour Frank Sobczak. «Ce n’est pas cohérent. Un chef d’entreprise n’engage pas des apprentis de manière inadaptée, juste par crainte de sanctions économiques. Si on exagère, la contrainte financière pourrait induire des effets pervers, comme la mise en place de formations artificielles, sans réels débouchés. De toute manière, environ 3000 francs d’exonération par année pour une entreprise de 100 employés, ce n’est pas cela qui va l’inciter à créer plus de places d’apprentissage. De la même manière, la taxer parce qu’elle n’engage pas assez d’apprentis, c’est lui faire payer un problème dont elle n’est pas directement responsable.»

Anne-Emery Torracinta: «Augmentons les places d’apprentissage à l’Etat»

«En tant que cheffe du Département de l’instruction publique (DIP), je ne peux qu’encourager toute volonté visant à développer l’apprentissage», soutient la conseillère d’Etat Anne-Emery Torracinta. Qui poursuit: ☺«Ceci passe par la valorisation de cette formation auprès des jeunes et leur famille, mais aussi, bien sûr, auprès des entreprises car elles y jouent un rôle clef. La collaboration avec elles est essentielle afin qu’elles offrent davantage de places. Par exemple, nous avons créé un CFC bilingue qui répondait clairement à un besoin des multinationales à Genève. En matière d’apprentissage, il n’y a donc pas une seule solution, mais bien une palette de mesures qui doivent s’inscrire dans une logique cohérente et être discutées avec tous les partenaires concernés. La dimension financière est une voie possible mais le coaching ou encore le fait de décharger les entreprises sur le plan administratif sont aussi des pistes intéressantes. Dans cette perspective, le DIP réfléchit à un plan d’action dont l’une des premières étapes est d’augmenter le nombre de places d’apprentissage au sein de l’Etat de Genève».