Genève: Eldorado des psys

- La densité de psychiatres et de psychologues est l’une des plus élevées au monde.
- Loin de s’essouffler, le phénomène s’accélère.
- Il faut pourtant attendre des semaines avant de décrocher un rendez-vous.

  • Malgré une forte concentration de médecins de l’âme, les patients doivent attendre des semaines avant d’obtenir un rendez-vous. ISTOCK/MIKEKIEV

    Malgré une forte concentration de médecins de l’âme, les patients doivent attendre des semaines avant d’obtenir un rendez-vous. ISTOCK/MIKEKIEV

Chaque année, plus de 27 millions sont remboursés aux assurés genevois pour des frais de psychothérapie

Genève, une ville de fous? Toutes catégories confondues – psychiatres, psychologues, psychothérapeutes et psychanalystes – la concentration genevoise de «médecins de l’âme» est l’une des plus fortes du monde. On compte plus de 400 psychiatres établis à leur compte ou exerçant au sein d’institutions publiques. A ce nombre s’ajoutent 190 psychothérapeutes non médecins et 400 psychologues cliniciens – plus les innombrables praticiens qui proposent des approches non conventionnelles. Alors que la moyenne suisse est de 4,3 psychiatres pour 10’ 000 habitants, à Genève elle culmine à 20…

Limiter l’offre

Et ce phénomène s’accélère! Selon le médecin cantonal, Jacques André Romand, de plus en plus de psychiatres cherchent à s’installer à Genève depuis la suppression, en 2012, de la clause du besoin qui permettait de limiter l’offre. Résultat: le nombre d’autorisations de pratiquer accordées aurait augmenté de plus de 200% en l’espace de quelques années, d’après Santésuisse, organe faîtier des assureurs.

«Ce qui est frappant, c’est que l’augmentation des consultations ambulatoires n’est pas compensée par une diminution des hospitalisations», observe Mauro Poggia, conseiller d’Etat à la tête du Département de la Santé.

Malaise psychologique

Sans donner de chiffres précis, l’Unité d’investigation sociologique du Département de la psychiatrie parle d’un quadruplement de nombre de consultations en l’espace d’une décennie. Au moins 5% des Genevois seraient actuellement suivis par un psy. Pour le conseiller d’Etat Antonio Hodgers (Verts), cela relève d’un mode de vie: «Consulter à Genève n’est pas forcément un signe de malaise psychologique; c’est un autre rapport avec soi-même, une démarche de développement personnel.»

Banalisation des traitements

Malgré cette densité de cabinets sans équivalent au monde – on ne fait pas mieux à Manhattan – les agendas des psys sont surchargés: il faut facilement compter plusieurs semaines avant de décrocher un rendez-vous. «L’abondance de l’offre crée une augmentation de la demande», explique Laurent Paoliello, secrétaire général adjoint du Département de l’emploi, des affaires sociales et de la santé (DEAS). Le service du médecin cantonal pointe une banalisation des traitements de nature psychiatrique et une diminution du seuil de tolérance social aux troubles psychiques.

Disproportionné

Chaque année, plus de 27 millions de francs sont remboursés aux assurés genevois pour des frais de psychothérapie. Soit 13% de la totalité des remboursements effectués au niveau national pour ce type de prestations, alors que la population du canton ne représente que 5% du total du pays… Il faut dire que Genève a de qui tenir: la Suisse affiche la plus forte densité de psys au sein de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), avec 42 praticiens pour 100’000 personnes, alors que la moyenne n’est que de… 15. Tout cela n’est-il pas disproportionné? Un ancien chef du Département de psychiatrie de l’Université de Genève répond par une boutade révélatrice: «Ce n’est pas parce que l’on consomme plus de savon que les autres qu’on est plus sales!».