Genève fait parler la pollution sonore

Inédit. D’ici fin mai, 40 capteurs vont mesurer le bruit social à la rue de l’Ecole-de-Médecine. Leur fonction? Doter l’Etat d’une vision objective de l’activité humaine qui casse les oreilles. Pas de panique. La sphère privée sera respectée, promet le Département de la sécurité et de l’économie chargé du projet.

  • Paolo Baldi, ingénieur chez Orbiwise. PASCAL BITZ

    Paolo Baldi, ingénieur chez Orbiwise. PASCAL BITZ

  • Les capteurs enregistreront les données en flux continu durant douze mois. PASCAL BITZ Paolo Baldi, ingénieur chez Orbiwise. PASCAL BITZ

    Les capteurs enregistreront les données en flux continu durant douze mois. PASCAL BITZ Paolo Baldi, ingénieur chez Orbiwise. PASCAL BITZ

«Il ne faut surtout pas influencer le bruit mais le comprendre»

Raoul Schrumpf, directeur de la Police du commerce et de lutte contre le travail au noir

Faites du bruit, vous êtes écoutés! Dès la fin du mois de mai en effet, le Département de la sécurité et de l’économie va mettre en place une opération inédite qui devrait faire beaucoup parler d’elle. «Une quarantaine de capteurs de dernière génération vont enregistrer le niveau de la pollution sonore sociale à la rue de l’Ecole-de-Médecine à Plainpalais», révèle Raoul Schrumpf, directeur de la Police du commerce et de lutte contre le travail au noir (PCTN), qui pilote le projet. But de l’opération? «Doter l’Etat d’une vision objective de l’activité humaine qui dérange», explique-t-il. Avant d’ajouter: «D’ordinaire, on veut éliminer le bruit, là c’est le contraire, on veut qu’il nous parle, qu’il nous informe. Cela n’a jamais été fait.»

Périmètre stratégique

Pour éviter toute cacophonie contestataire, le haut fonctionnaire précise aussitôt. «Ce projet est mené en toute transparence avec les commerçants de la rue qui est une très bonne rue test. C’est en effet un petit périmètre stratégique avec des problématiques sonores diverses comme les terrasses des bistrots et les nombreuses animations de la plaine de Plainpalais à proximité. C’est aussi un lieu de passage très fréquenté notamment les soirs de matches de hockey à la patinoire des Vernets. Au fond, tout le monde crée du bruit et notre tolérance à cette pollution sonore souvent peu visible n’est pas la même. Cris et hurlements peuvent être festifs pour les uns et insupportables pour les autres. Les gens sont aussi plus ou moins à cran en fonction des horaires, des jours et des saisons. C’est pour cela que le dispositif enregistrera les données en flux continu et restera en place pendant douze mois, il s’agit également de comprendre si l’été génère plus de nuisances que l’hiver.»

Respect de la sphère privée

Bonne nouvelle, l’Etat n’est pas resté sourd à la problématique du respect de la sphère privée des citoyens. «Soyons clairs, il ne s’agit surtout pas de fliquer la rue. Aucun capteur n’est relié à la police. Aucun rapport ni sanction ne sont inscrits au programme», promet Raoul Schrumpf. Qui clarifie: «Il ne faut surtout pas influencer le bruit mais le comprendre. Pour cela, il faut que les comportements ne changent pas. Ainsi, les capteurs installés seront discrets, tous les relevés seront anonymes et analysés de manière objective par une start-up indépendante (lire encadré).»

Tranquillité publique

Dans l’immédiat, pas de nouvelle traque aux auteurs de nuisances sonores donc. Mais la volonté de se doter de données scientifiques objectives pour, à terme, renforcer la tranquillité publique. C’est ce que confirme le magistrat Pierre Maudet. «Au carrefour de l’économie et de la sécurité, ce partenariat public-privé concrétise ma volonté d’appréhender en amont le phénomène des nuisances sonores afin d’anticiper les solutions à mettre en œuvre pour améliorer la qualité de vie des riverains», résume-t-il. En attendant ces premières mesures, il y a fort à parier que l’installation des nouveaux capteurs sonores risque de faire pas mal de bruit social... Et pas que du côté de la plaine de Plainpalais.

"Capteurs à la pointe de la technologie"

«Les capteurs qui seront installés, fin mai, à la rue de l’Ecole-de-Médecine pour enregistrer le bruit social sont à la pointe de la technologie», résume Didier Hélal, directeur de la société Orbiwise. Basée à Plan-les-Ouates, cette start-up, soutenue par la Fondation genevoise pour l’innovation technologique (FONGIT), sera en charge de la pose des 40 capteurs, de l’enregistrement et du décryptage des données sur le terrain. «Nos capteurs sont urbains et discrets. Ils ont la taille d’une cannette de coca et font appel aux dernières générations de microphones. La technique utilisée respecte le plus haut degré de certification de la mesure et a été validée par les instances fédérales. En résumé, elle est évoluée, fiable et précise», plaide le cadre. Cerise sur le gâteau, elle est à bas coûts… «Oui, nos capteurs ne coûtent que quelques centaines de francs alors qu’ils sont en mesure de faire le même travail qu’un sonomètre d’une valeur de 10’000 francs pour les phénomènes qui nous intéressent. De plus, le système qui enregistre le niveau du bruit en continu est peu gourmand en énergie. Il tiendra 1 an sur une simple pile sans perte de performance. Nous travaillons sur ce projet depuis le printemps 2016. Je rappelle que Genève est pionnière dans la lutte contre la pollution sonore. Avec ce partenariat public-privé, elle pourra disposer de données scientifiques inédites sur la problématique du bruit social.»