«On vient d’assister à un an de dégringolade, la situation est beaucoup plus grave que ce que pensent les responsables de l’industrie horlogère»
Gregory Pons, éditeur de Business Montres
Aquoi joue l’industrie horlogère? D’après les grands patrons, la situation est certes un peu tendue, mais ce n’est que passager et les raisons sont uniquement conjoncturelles. Voilà pour le discours officiel. La réalité est pourtant bien différente. Selon les derniers chiffres de la Fédération de l’industrie horlogère suisse (FH), on n’assiste pas à une légère baisse mais à une chute brutale des exportations: -11,1% en avril dernier, -16,1% en mars.
Manufactures concernées
Force est de constater que si certaines marques (Rolex, Audemars Piguet et Richard Mille) parviennent encore à tirer leur épingle du jeu, la plupart des sociétés sont clairement à la peine. Certaines ont même déjà dû fermer boutique: Breva, Slyde Watch ou Technomarine, notamment. Face à l’omertà qui règne dans le secteur, nous avons tout de même rencontré un patron de marque qui ose jouer la carte de la transparence.
Conjoncture défavorable
Il s’agit de Pierre Jacques, directeur général de la Manufacture Contemporaine du Temps (MCT): «Quand on n’est pas coté en bourse, on peut dire ce que l’on pense, sans langue de bois. Les raisons de cette crise sont multiples, il y a le conflit ouvert en Ukraine, les problèmes au Moyen-Orient, sans oublier les réservoirs de croissance comme la Chine ou l’Amérique latine qui n’ont pas été à la hauteur des promesses.» Si les facteurs conjoncturels impactent négativement toute l’industrie, il ne faudrait pas sous-estimer l’effet générationnel comme le souligne Gregory Pons, éditeur de Business Montres: «On vient d’assister à un an de dégringolade, la situation est beaucoup plus grave que ce que pensent les responsables de l’industrie horlogère. Il y a une coagulation de facteurs négatifs et les consommateurs du luxe ont changé. Ils ne veulent plus les mêmes choses.»
Futur connecté?
L’évidence de la crise concerne les exportations aux quatre coins du globe avec des baisses constatées en Chine, aux Etats-Unis et au Japon, mais aussi dans les boutiques genevoises installées à la rue du Rhône. Si on essaie encore de faire bonne figure face aux clients, le discours en off est bien différent: «Nous avons un important stock de montres sur les bras, c’est très inquiétant car je sais que d’autres enseignes genevoises sont exactement dans la même situation, déplore ce gérant* d’une boutique prestigieuse. Tout le monde pratique la politique de l’autruche.»
Crise durable?
Dans un contexte de défiance généralisée, faut-il craindre une crise durable obligeant certaines sociétés à licencier en masse dans le canton? Pour Xavier Comtesse, responsable d’un cercle de réflexion baptisé Watch Thinking, il faut rapidement changer de cap pour éviter le désastre: «Depuis son lancement, la smartwatch grignote des parts de marché, la seule option crédible est de miser sur un modèle connecté, mais 100% Swiss Made. C’est urgent car 2000 emplois ont déjà été perdus dans le secteur horloger au niveau national. Cependant, pour y parvenir, il faut que les managers actuels laissent leur place aux plus jeunes et que l’on mise tout sur l’innovation en s’appuyant sur les hautes écoles!» Faute de quoi les nuages risquent encore de s’accumuler sur une industrie qui souffre déjà de son récent immobilisme. Lors de la dernière édition du salon Baselworld, Pierre Maudet, conseiller d’Etat genevois en charge de l’Economie, avait souligné son attachement au secteur horloger tout en rappelant qu’il représentait près de 10’000 emplois et 4,6% du PIB cantonal. Je reste confiant sur l’avenir proche», conclut le magistrat. Oui, mais pour combien de temps?
* nom connu de la rédaction