Rémy Pagani s'attaque aux logeurs proxénètes

- Le Maire de la Ville de Genève et l'association Aspasie dénoncent 200 cas d'usure au procureur général.
- Certaines prostituées paient jusqu'à 6000 francs de loyer pour un appartement aux Pâquis.
- Le conseiller national Carlo Sommaruga veut changer la loi pour criminaliser les propriétaires et les régies coupables.

  • Les loyers sont abusifs pour les travailleuses du sexe aux Pâquis.

    Les loyers sont abusifs pour les travailleuses du sexe aux Pâquis.

Le sang de Rémy Pagani n'a fait qu'un tour. Le maire de la Ville de Genève a découvert, grâce au travail minutieux d'Aspasie, l'association de défense des travailleurs et travailleuses du sexe, que plus de 200 prostituées sont contraintes de payer des loyers exorbitants pour pouvoir travailler aux Pâquis. «Je trouve scandaleux que certains abusent de personnes au statut précaire, tonne-t-il. J'ai fait mon devoir en dénonçant ces situations au procureur général, même si je m'oppose à la marchandisation des corps.»

Accusations graves

Le 15 février, il a adressé une lettre à Olivier Jornot, que nous nous sommes procurée. Les accusations sont graves: «Il s'agit de dénoncer un système pyramidal gigantesque impliquant des propriétaires, régies et intermédiaires de divers immeubles situés aux rues Sismondi, De-Monthoux, Rossi, Cusin et Berne», explique Michel Félix, chargé de communication d'Aspasie.

Jusqu'à 36'000 francs de caution

Depuis plusieurs années, l'association enregistre, en effet, les doléances des prostituées, des drames humains auxquels il fallait répondre. Michel Félix décrit l'indicible, comme le cas de «ce propriétaire d'immeubles sans scrupules, qui a extorqué à une femme 1500 francs par mois en espèces. Ceci sans reçu et à plusieurs reprises. La locataire ne comprend pas pourquoi la régie la relance, ensuite, pour son loyer qu'elle pensait avoir réglé. Malgré l'intervention de l'Asloca, elle renonce à toute poursuite par peur.» Autre cas: «Une régie qui loue dans un premier temps un appartement 3000 francs par mois, puis résilie le bail et augmente le loyer à 4000 francs. Pour le résilier à nouveau. Et 24 mois plus tard, le loyer passe à 6000 francs.» Autre cas scandaleux: «une prostituée doit payer jusqu'à 36'000 francs de caution à la signature de son bail, le 20 juin 2012. L'intermédiaire du propriétaire lui demande de payer son loyer à double, ce qu'elle fait auprès de la régie.»

Loi du silence et de la peur !

L'omerta semble de mise dans le milieu pour un marché très juteux. «Comptez 100 francs par jour pour un box, sans fenêtre et séparé par des panneaux en bois, explique une habitante des Pâquis qui souhaite rester anonyme. Des 4 pièces sont ainsi transformés en 10 pièces. Imaginez les profits sans impôts.» Michel Félix ajoute: «Même la cuisine est sacrifiée pour aménager des chambres.» Pire. «Des intermédiaires récoltent chaque semaine l'argent des loyers et il nous a été rapporté que certains d'entre eux menacent des prostituées en prétendant avoir des liens privilégiés avec certaines personnes faisant partie du corps de la police genevoise, ajoute notre interlocuteur.

Proposition parlementaire

Carlo Sommaruga, conseiller national et secrétaire général de l'Asloca, également alerté par cette problématique, entend déposer une proposition parlementaire qui vise à revenir à une criminalisation du comportement de celui qui exploite la situation de la prostitution pour obtenir un revenu indû.»Un délit qu'il veut «poursuivable» d'office pour sortir de l'omerta actuelle.

No comment!

SJ • Préserver ces femmes d'éventuelles représailles reste une des préoccupations majeures d'Aspasie, l'association de défense des travailleurs du sexe, et du maire Rémy Pagani. Dans la lettre adressée au procureur général (lire ci-dessus), le maire de Genève explique que des membres du STTS (Syndicat des travailleurs et travailleuses du sexe) sont prêts à confirmer les faits devant la justice, sous réserve d'une garantie de préserver leur anonymat comme il se doit.» Pour Michel Félix, chargé de communication d'Aspasie, «l'instruction devra impérativement tenir compte de ce paramètre en cas de confrontation. Et si ces personnes perdent leur travail et leur logement, je souhaiterais que la Ville de Genève puisse mettre à leur disposition des lieux de vie durant la durée des procédures.» Et il conclut: «Nous espérons que la lumière sera faite pour que cela change. J'espère que ces affaires, rendues publiques trop tôt selon moi, n'auront pas d'incidences sur la bonne gestion des dossiers diligentés par le procureur général, Olivier Jornot. Mais je lui fais entièrement confiance.» Le dossier est effectivement sensible. Pour preuve: contacté, le procureur général ne veut faire, à ce stade de l'enquête, aucun commentaire. Les régies concernées, non plus, n'ont pas souhaité s'exprimer.