Un quart des ayants droit renoncent à l’aide-sociale

Plus de 25% des Suisses qui pourraient bénéficier de l’aide sociale de l’Etat ne réclament rien. Ils renoncent souvent par manque d’information et parce que le parcours pour obtenir une aide est sinueux. Le non-recours à l’aide sociale ne représenterait pas une économie, mais bien un échec de la politique sociale.

  • La complexité des démarches peut être un facteur de renoncement. GETTY IMAGES/STURTI

    La complexité des démarches peut être un facteur de renoncement. GETTY IMAGES/STURTI

  • La complexité des démarches peut être un facteur de renoncement. GETTY IMAGES/STURTI

    La complexité des démarches peut être un facteur de renoncement. GETTY IMAGES/STURTI

«Contrairement aux abus, il semble que le non-recours à l’aide sociale n’est pas une priorité politique»

Frédérique Leresche, doctorante à la Haute école de travail social et de la santé à Lausanne (HES SO)

Plus de 25% des Suisses susceptibles de toucher l’aide sociale ne la réclament pas. C’est ce que révèle une récente étude menée à la Haute école spécialisée bernoise (BFH). Elle corrobore une statistique fédérale de 2009, selon laquelle le nombre d’ayants droit qui préfèrent renoncer avoisinerait les 28% (ndlr: à Genève cela pourrait concerner entre 4000 et 5000 personnes).

Etude inquiétante

Mais ce n’est pas tout! Certains travaux antérieurs avancent des chiffres encore plus inquiétants, selon René Knüsel, professeur à l’Institut des sciences sociales de l’Université de Lausanne. Ainsi, une recherche nationale sur la pauvreté, effectuée en Suisse en 1997, indiquait un taux de non-sollicitation de 45% au moins. Et l’organisation d’entraide Caritas a obtenu, en 2014, une fourchette de 30 à 50%.

Abus vs non-recours

Malgré tout, le phénomène, dû essentiellement à la complexité du système actuel considéré comme dissuasif (lire ci-dessous), reste peu connu. Hypothèse de la doctorante Frédérique Leresche, qui mène actuellement une recherche sur cette thématique à la Haute école de travail social et de la santé à Lausanne (HES SO). «Contrairement aux abus, il semble que le non-recours à l’aide sociale n’est pas une priorité politique», avance-t-elle. «Il y a un manque d’informations, de vrai débat», regrette pour sa part Anne-Marie Peysson, présidente de l’Association de lutte contre les injustices sociales et la précarité (Alcip).

L’Etat relativise

«L’importance de ces chiffres n’est que conjecture et est invérifiable», déclare de son côté Mauro Poggia, conseiller d’Etat chargé des affaires sociales à Genève. Au secrétariat de l’UDC, le député et conseiller municipal genevois Marc Falquet doute également: «Comment voulez-vous évaluer le taux de renoncement à l’aide sociale? C’est comme si vous tentiez de savoir combien de personnes ne vont pas à la piscine», ironise-t-il. «Ce n’est pas pareil», argumente Jean-Pierre Tabin, professeur à la Haute école de travail social et de la santé (HES SO). En effet, tandis que la piscine est ouverte à tous, l’aide sociale est destinée à un public bien ciblé. On peut donc évaluer l’importance du phénomène en étudiant la population concernée.

Echec politique

Or, le non-recours à l’aide sociale fragilise, souvent et encore davantage, la situation économique des intéressés. «Cela ne représente pas une économie, mais l’échec d’une politique sociale», affirme Jean-Pierre Tabin. «A moins, bien sûr, de préférer mener une politique sociale inefficace parce que ça coûte moins cher», lâche-t-il.

«Laisser entendre que l’Etat spécule sur l’ignorance des bénéficiaires est indécent», répond le magistrat Mauro Poggia. D’ailleurs, ce serait «un mauvais calcul» puisque «dans le domaine social, intervenir au bon moment est toujours moins coûteux que de devoir le faire avec retard.» Et son porte-parole de préciser que le versement des subsides de l’assurance-maladie a été automatisé pour 80% des bénéficiaires.

De là à penser qu’il en ira de même pour l’aide-sociale, il y a un pas de géant que personne ne semble en mesure de franchir actuellement.