Vidéosurveillance: gadget inutile?

- De plus en plus de communes genevoises s’équipent de caméras.
- Des sommes colossales ont été dépensées alors qu’aucune étude ne démontre leur efficacité.
- Malgré ce paradoxe, certains élus continuent de vanter les mérites de la vidéosurveillance.

  • Aucune enquête en Suisse ou ailleurs ne démontre l’efficacité des caméras. DR

    Aucune enquête en Suisse ou ailleurs ne démontre l’efficacité des caméras. DR

«Après les premiers mois d’utilisation, les caméras perdent vite leur efficacité préventive»

Francisco Klauser, professeur à l’Université de Neuchâtel

Les caméras sont partout. Sur le toit des banques, dans les espaces publics, à proximité de certains bâtiments, il suffit de se balader dans le canton pour découvrir qu’elles poussent comme des champignons. A Thônex, par exemple, on a décidé de suivre cette tendance et de sortir le porte-monnaie. «Nous avons acheté six caméras il y a quelques années», se félicite Singh Ashwani, conseiller municipal. «Au total, nous avons dépensé 120’000 francs.» De l’argent public qui serait rudement bien utilisé, selon l’élu.

Le problème, c’est qu’aucune étude en Suisse ne démontre l’efficacité de cette installation. Marc Kilcher, conseiller administratif de la commune et fervent partisan de la vidéosurveillance, n’en démord pourtant pas: «Nous avons désormais 18 caméras, mais nous ne cherchons pas à combattre la grande criminalité. Nous voulons juste éviter les déprédations sur les bâtiments et mettre un terme aux scènes de deal dans nos rues. Du reste, il n’y a plus de deal, c’est donc efficace.»

Une conclusion plutôt étonnante. Concernant l’efficacité de la vidéosurveillance, il existe en effet une étude menée par le Ministère de l’Intérieur français. Que dit-elle? Les taux d’élucidation des délits progressent plus vite dans les communes qui n’ont pas de caméras et les atteintes aux personnes y sont moins nombreuses.

Coût important

Malgré cette conclusion, les élus français, mais aussi suisses, continuent souvent de vanter les qualités de la vidéoprotection. Les installations se multiplient dans le canton et le coût global s’élève à plusieurs millions de francs pour les collectivités. Un constat que fait également Raoul Richiger, directeur de la société Suisse-Alarme: «Nous travaillons régulièrement avec les administrations publiques. Elles nous demandent de nouvelles installations ou parfois une modernisation de celles qui existent déjà.»

Francisco Klauser, professeur à l’Université de Neuchâtel, a réalisé de nombreux travaux en lien avec l’efficacité de la vidéosurveillance. Il souligne également la gourmandise des élus pour ce type de démarche à la Big Brother: «Après les premiers mois d’utilisation, les caméras perdent vite leur efficacité préventive. Elles peuvent aussi engendrer des problèmes de déplacement de la criminalité. Et puis, la population préfère quand même une présence policière à la technologie.»

Pâquis: le choix de la surveillance constante

En Ville de Genève, dans le quartier des Pâquis, on a pourtant fait le choix d’une surveillance permanente: «Dans cette zone, les caméras nous permettent de constater le départ d’une bagarre, précise Jean-Philippe Brandt, porte-parole de la police genevoise. Elles ont un rôle de prévention et peuvent être un moyen de preuve. Il y en a une cinquantaine dans le canton dont nous nous occupons.»

Un optimisme nuancé partagé par Pierre Maudet, conseiller d’Etat en charge de la sécurité: «Je ne me prononce pas pour les communes. Quant à la vidéoprotection mise en place dans le quartier des Pâquis, elle fait l’objet d’une évaluation dont les résultats intermédiaires seront connus le mois prochain. Même si les premiers échos sont positifs, il convient d’attendre les résultats de cette évaluation conduite par l’Université de Neuchâtel.» Reste que face à l’absence d’étude probante, les élus genevois ont bien de la peine à justifier l’augmentation massive du nombre de caméras dans les communes. Sont-elles destinées à sécuriser l’espace public ou à rassurer une population qui se croit en danger? «Les politiciens doivent se faire réélire tous les quatre ans, concède Marc Kilcher. Si la population réclame des caméras, il faut en mettre.»

Transparence vaudoise

FaBo • Contrairement à Genève, le canton de Vaud a mis en ligne au début de cette année une carte de toutes les caméras installées dans le canton. Ecoles, déchetteries, places, parc publics, parkings, les emplacements sont désormais publics. La carte est ainsi consultable par tout un chacun et elle est mise à jour au fur et à mesure qu’une nouvelle autorisation est accordée à une commune pour installer un nouveau dispositif de surveillance.

Plus d’infos sur www.vd.ch/ppdi