Budget 2016: la comédie de l’impasse

GRAND CONSEIL • Dire non à l’examen du projet de budget 2016, c’est évidemment un acte politique. Que signifie-t-il? Quelle est sa part de bluff, de comédie? Tout cela ne s’inscrit-il pas dans une traditionnelle liturgie d’automne?

  • La Commission des finances renvoie le dossier à son expéditeur. ISTOCK/BERNARDASV

    La Commission des finances renvoie le dossier à son expéditeur. ISTOCK/BERNARDASV

«Nous sommes face à un important signal politique, qu’il s’agit de décrypter»

Pascal Décaillet

Nous l’annoncions en primeur le mercredi 18 novembre: la Commission des finances du Grand Conseil refuse l’entrée en matière sur l’examen du projet de budget 2016. En clair, elle n’ouvre même pas le dossier, le renvoie à l’expéditeur. La plupart du temps, les députés acceptent l’entrée en matière, quitte ensuite à se bagarrer vivement sur les différents articles. Nous sommes donc, ici, face à une décision grave, un important signal politique, qu’il s’agit de décrypter.

Cohérence

Le détail du vote, d’abord: l’entrée en matière est refusée par sept commissaires aux finances (1 Ensemble à Gauche, 3 socialistes, 1 Vert, 2 MCG). Elle est acceptée par sept autres (4 PLR, 1 PDC, 2 UDC). Et c’est une abstention (celle du président MCG de la commission) qui fait la différence, et renvoie le projet de budget à ses chers auteurs. Nous avons donc un oui cohérent de la droite (au nom des mesures d’économie, leur credo), un non cohérent de la gauche (au nom de la défense des services publics, de l’aide aux plus démunis, etc.), et… un MCG qui, par sa redoutable capacité d’arbitrage, fait la pluie et le beau temps. Et s’assure, par la défense des mécanismes salariaux, l’appui d’une partie de la fonction publique. Tiens, disons la police, par exemple.

Jeu de bluff et de dupes

Au fond, un budget c’est quoi? Ce sont des chiffres, bien sûr, des lignes de dépenses, octroyées à chacune des politiques publiques. Un peu plus pour Jean, un peu moins pour Paul. Un peu plus pour Pierre, un peu moins pour Anne. Mais c’est toujours, en amont, lors de ces fameux automnes de préparation, où la tension monte jusqu’à l’examen en plénum (décembre), un jeu de bluff et de dupes, qui doit impérativement être décodé comme tel par tout observateur de la vie politique qui se respecte. Certains partis s’ingénient à montrer les muscles, un peu comme le grand Cassius Clay, devenu Mohamed Ali, lorsqu’avant le match, il se confrontait à son adversaire, à la pesée.

Discours prototypé

Le discours, d’année en année, est toujours le même. Prototypé. Si je suis de droite libérale, je prends un air particulièrement pénétré pour montrer mon inquiétude face à la dette qui grimpe. Si je suis de gauche, je hurle au démantèlement de l’Etat et des services publics. Si je suis MCG, je joue habilement sur les deux tableaux, en fonction des nécessités argumentaires du moment, je garde juste en tête qu’il ne faut pas contrarier mon électorat policier. En général, on fait monter les enchères en novembre, en commission. La fonction publique, tel le chœur dans la tragédie, augmente le volume sonore en descendant dans la rue, et en décembre, au plénum, on finit miraculeusement par s’arranger.

Tragédie d’automne

Sera-ce le cas cette année? La situation n’est pas simple. Comme le note, avec beaucoup d’intelligence et d’habileté politique, le député PLR Cyril Aellen, en refusant le budget, donc en condamnant le canton à procéder en 2016 par des «douzièmes» (le budget calqué sur celui de l’année précédente), on s’interdit aussi les augmentations prévues dans certains Départements. Conclusion: bien malin qui pourrait nous prédire l’issue de cette habituelle tragi-comédie d’automne, qui distrait usuellement le Genevois entre les vacances d’octobre et celles de Noël, au moment où la Mère Royaume prépare sa soupe. Pour la verser sur qui, cette année?