Coup de Coeur / Griffe du 02.07.2014

COEUR Aspiré par la mer, le Grand Rhône, en cet endroit précis auquel je pense, incroyablement large, offre au regard un flux impressionnant. Pas question de s’y baigner, on se retrouverait hagard, sur quelque côte de Corse ou d’Algérie. J’aime y aller sur la rive gauche, par quelque chemin de traverse, dans les vignes du pays d’Arles. La côte d’en face, à portée de regard, apparaît comme un autre monde. La Méditerranée n’est plus qu’à quelques kilomètres, et déjà l’air marin se mêle au parfum des ceps. Mais le fleuve, plus que jamais, est encore fleuve. Là, plus rien ne l’arrête, il a décidé de précipiter son destin. Non mourir, mais renaître dans quelque chose de plus grand. Son flot est émeraude. Les arbres, sur le rivage, enracinent leurs troncs dans le lit du fleuve. Immobiles et fiers, devant la vie qui va.

GRIFFE Pourquoi n’apprend-on plus les affluents des fleuves? Parce que Mai 68 est passé par là, qui diabolise toute liste? Empereurs romains, rois de France, papes, présidents de la République. Alors, la Vienne, l’Indre et le Cher, vous pensez ! Cette amnésie volontaire est une énorme bêtise. D’abord, parce qu’un cours d’eau forme avec ses affluents l’unité cohérente d’un bassin hydrographique. Cela, au fil des millénaires, conditionne les humains, en façonne l’Histoire et le destin. Mais il y aussi autre chose, de l’ordre de l’évocation sonore: apprises à sept ou huit ans, ces litanies de syllabes magiques demeurent ancrées en nous comme une poésie du vivant. Au final, un rapport affectif à la géographie, comme l’émotion devant un paysage. Car la nature est totale, rien ne la fragmente. Pas même la mort.