La fin du monde est reportée à une date ultérieure!

PRÉSIDENTIELLE FRANCAISE • Emmanuel Macron est Président, c’est sûr. Il est même fort bien élu, et légitime pour cinq ans. Mais refuser d’entendre les onze millions de voix de Marine Le Pen, c’est s’exposer à un violent retour de manivelle, en 2022.

  • La vie est belle, profitons-en, jusqu’en 2022! GETTY IMAGES/STOCK COLORS

    La vie est belle, profitons-en, jusqu’en 2022! GETTY IMAGES/STOCK COLORS

Hergé. Les premières pages de L’Etoile mystérieuse. Une chaleur suffocante. L’approche d’une météorite, connue des seuls initiés. Pour le public, une boule de feu, qui n’en peut plus de croître, dans le ciel. La promesse imminente de la fin du monde, d’ailleurs annoncée par le gong d’un prophète fou, Philippulus, qui ressemble au directeur de l’Observatoire, le Professeur Calys, amateur de caramels mous. Ce climat d’Apocalypse, où Hergé est au sommet de son art, amène Tintin à une scène surréaliste: le fragment de météore a bien touché la planète, il a provoqué un tremblement de terre, les gens sont dans la rue, ahuris, hagards. Sauf Tintin! Lui qui s’attendait au Jugement dernier, hurle sa joie dans la rue: «Hourra, ça n’est qu’un tremblement de terre!». Il passe pour fou, c’est sûr.

Onze millions de voix pour le FN

Cette scène, l’une des plus géniales d’une œuvre qui n’en est pas avare, rappelle ce qui vient de se passer en France, dimanche 7 mai, à la présidentielle. Le Front national tutoie les onze millions de voix, mais les gens sont heureux: «Hourra, ça n’est qu’un séisme!». Comme le note très justement Tintin lui-même, dans cette réplique inoubliable (je cite de mémoire): «Hourra, la fin du monde est reportée à une date ultérieure!». Bref, «Après nous le Déluge», phrase prêtée fort injustement à Louis XV, dont j’ai toujours soutenu qu’il était un grand roi, mais ça n’est pas ici la question. En clair, la vie est belle, c’est le printemps, le joli mois de mai, faisons ce qui nous plaît, prenons nos Congés payés, chantons, dansons. Et puis, pour l’Apocalypse, on verra plus tard!

Les raisins de la colère

Car enfin, il y a ces onze millions de voix. Certes, Mme Le Pen n’a pas gagné la présidentielle, et son suicide au débat face à M. Macron y est sans doute pour beaucoup. Mais son parti pulvérise tous ses records! Alors bien sûr, pour cinq ans, M. Macron est légitime: il a gagné, très largement, et nul ne saurait lui contester sa victoire. Mais le signal donné par les onze millions, qui va l’entendre? Regardez cette carte électorale, cette France nantie contre la France de la colère, cette France de l’Ouest contre celle du Nord, de l’Est et du pourtour méditerranéen. Ces innombrables Départements où le FN dépasse les 40%. Ajoutez la rage face aux inégalités sociales, la désespérance des agriculteurs, celle des chômeurs, l’exaspération suite aux délocalisations d’entreprises, et vous commencerez vite à les trouver, ces raisins de la colère française. Avec, si M. Macron échoue, une sacrée promesse de vendange pour le FN en 2022.

Dernière chance

Alors? Alors, on peut danser dans les rues, bien sûr. Se réjouir d’être encore vivant: «Hourra, la fin du monde est reportée!». On peut chanter, se trémousser, et refuser de voir l’essentiel: cette élection n’est qu’un répit. Un ultime sursaut pour l’Ancien Monde. La dernière chance. En cas d’échec, la Révolution conservatrice s’annoncera à la porte. A moins qu’elle ne choisisse d’entrer sans frapper.