Liberté de la presse: les fausses pleureuses

MÉDIAS • Rien de pire qu’un politique, de gauche comme de droite, qui prétend «aider la presse». Ce sera toujours le début d’une tutelle. Dans le métier de journaliste, il y a pire qu’un ennemi: un ami.

  • Pour rester libres, les journaux doivent garder leurs bons vieux ennemis . DR

    Pour rester libres, les journaux doivent garder leurs bons vieux ennemis . DR

En pleurant, à n’en plus finir, la disparition d’un hebdomadaire, en craignant comme la peste celle d’un quotidien, en répétant à l’envi que «la diversité de la presse en Suisse romande est menacée», que nous révèlent les accents de Requiem et les trémolos de ces voix d’Apocalypse? Une véritable sensibilité à la pluralité des opinions, dans notre coin de pays? Ou plutôt, la peur de voir s’évanouir ceux qui furent si longtemps les relais de leurs points de vue? Ici, un centre-gauche européiste, né de Mai 68, libertaire dans les affaires de société, plutôt libéral, tendance Blair ou Schröder, dans les choix économiques. Là, un centre-droit, également libéral, libre-échangiste, en pâmoison face à l’organisation multilatérale du monde, avec ses armées de journalistes formés à HEI, cette matrice située à quelques mètres du siège mondial de l’OMC, quelques centaines de mètres de l’ONU.

Paternalisme des politiques

Parlons sérieusement. Pour l’immense majorité des gens, un «bon journal», c’est un journal qui pense comme eux. Un «mauvais journal», c’est celui qui leur dit ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre. Ils ont évidemment tort, mais c’est ainsi. A vrai dire, il faut déjà une certaine évolution, une certaine connaissance du métier, pour arriver à faire la part des choses, juger en fonction d’une bienfacture, un niveau de professionnalisme, plutôt que du diapason avec ses idées, à soi. Dans ces conditions, rien de pire, dans la vie d’un journaliste, que le paternalisme des politiques, de droite ou de gauche, qui vous veulent du bien. C’est la pire des choses! Bien pire, encore, que ceux, au moins francs du collier, qui cherchent par tous les moyens à avoir votre peau. Tous ces esprits protecteurs, providentiels, qui surgissent au lendemain de la fermeture d’un titre, déjà suffisamment triste comme cela, pour vous promettre une improbable résurrection, ou réclamer d’urgence une «aide à la presse, de la part des pouvoirs publics».

Caisse de résonance

Ces belles âmes, si pures, eussent-elles fait preuve du même empressement, pour aider à naître – ou empêcher de mourir – un journal d’extrême gauche, ou alors de la droite conservatrice, anti-libérale, protectionniste, régulatrice des flux migratoires? La réponse, évidemment, est non. Ce que veulent conserver ces chers politiciens, c’est la caisse de résonance, pour leurs idées à eux, que peut constituer un titre, une antenne, un site. Ils ne s’intéressent qu’à cela. Ce qu’ils appellent «pluralité», c’est la défense de leurs idées, à eux. Dès que vous déboulez avec une autre vision, ils entreprennent toutes choses pour vous réduire au silence. Les mêmes, qui ne jurent que par la «diversité», se révèlent, à la première occasion, les pires censeurs. Je ne leur accorde, pour ma part, aucune confiance. Je préfère encore le rapport de vie et de mort, assez sain finalement, et en tout cas conforme à mon éthique de la guerre, qu’entretiennent de bons vieux ennemis. Allons, selon l’adage, combattre nos adversaires. Mais par pitié, qu’on nous protège des fausses pleureuses. Qu’on nous épargne la sollicitude de nos «amis».