Plaidoyer pour l’intérêt public

MEDIAS • Respect absolu de la sphère privée. Mais exercice, dans le domaine public, de la plus vigilante des fonctions critiques. N’être l’homme de personne, d’aucun clan, d’aucune faction. Proposer sa grille d’analyse. Ensuite, chacun jugera.

  • Les médias doivent rester vigilants face aux tentatives d’instrumentalisation venant d’un politique. GETTY IMAGES/ALPHASPIRIT

    Les médias doivent rester vigilants face aux tentatives d’instrumentalisation venant d’un politique. GETTY IMAGES/ALPHASPIRIT

Depuis que la politique existe, il y a des affaires. L’Histoire de la Cité d’Athènes, puis celle de Rome, puis deux millénaires et demi d’aléas, tout cela est pavé d’affaires. Le Collier de la Reine (1785), le Courrier de Lyon (1796), Dreyfus (1894-1906), Stavisky (1934), ou en Suisse les Mirages (1964), Jeanmaire (1976), pour n’en prendre que quelques-unes.

La presse aime les affaires, elle y tient l’occasion d’enquêter, de rivaliser en révélations avec les concurrents, et surtout de raconter. L’Affaire Dreyfus, sur laquelle j’ai tant travaillé, pour une série radiophonique en 1994 (pour les cent ans de son éclatement), n’est rien d’autre qu’un hallucinant jeu de miroirs entre journaux rivaux. Elle correspond, un quart de siècle avant l’arrivée de la radio, à l’apogée des tirages et de l’influence de la presse écrite. Sur le plan de l’étude des modes narratifs, c’est passionnant.

Transparence

Les journalistes, dans leurs années de formation, sont appelés à discerner les affaires «d’intérêt public», celles dont ils convient qu’on parle, parce qu’elles engagent le destin de la Cité, la gestion des deniers publics, etc., des affaires purement privées. Cela, c’est le principe. Ensuite, il y a les interprétations de chacun, en fonction de sa sensibilité, et du style d’histoires qu’il envisage de raconter.

Pour ma part, on le sait, je suis partisan d’une séparation absolue entre sphère privée et domaine public. Non seulement pour les élus, mais pour quiconque: toute citoyenne, tout citoyen, toute personne humaine a droit au respect de sa vie privée. En revanche, concernant les élus, notamment les magistrats exécutifs, la plus grande attention critique doit être portée sur leur gestion publique. Pas seulement par les journalistes! Par l’ensemble du corps des citoyens, qui paye des impôts, et a droit à la transparence.

Vigilance critique sur la gestion des dossiers

S’il convient, donc, de s’intéresser de façon critique à un magistrat, un conseiller d’Etat par exemple, cela doit être sur l’essentiel: mène-t-il, ou non, une bonne politique? Ses choix sont-ils pertinents? Rend-il service à l’intérêt public? Et là, il faut se montrer intransigeant.

Autant je suis réservé sur l’évocation de la vie privée, autant je prône, et tente d’exercer, la plus grande vigilance critique sur la gestion des dossiers. C’est à cette aune-là que nous devons juger nos élus. Et non sur la base de ragots, rumeurs, ou d’affaires dérisoires, totalement mineures, juste balancées par un autre politicien, pour affaiblir un rival, ou peut-être… faire diversion.

Clefs de lecture nécessaires

Parce que, si on commence à relayer chaque tentative d’instrumentalisation venant d’un politique pour en affaiblir un autre, par médias interposés, on risque de ne plus avoir beaucoup de temps pour travailler sur l’essentiel: l’établissement d’une vérité si on est enquêteur, l’exercice d’une fonction critique, si on est commentateur, ou éditorialiste. Ce serait dommage, car le monde d’aujourd’hui, surmédiatisé, a besoin de clefs de lectures. Chacun d’entre nous a le droit de proposer les siennes. Chaque citoyenne, chaque citoyen. C’est cela, la démocratie.