Bâtiment: «prix à la hausse et délais hallucinants»

CONSTRUCTION • La crise en Ukraine renforce les difficultés d’approvisionnement en matières premières sur un marché déjà très tendu. Les explications de Nicolas Rufener, secrétaire général de la Fédération des métiers du bâtiment.

  • La crise en Ukraine a des conséquences sur un marché déjà tendu. MP

  • Nicolas Rufener, secrétaire général de la Fédération des métiers du bâtiment. DR

«Ça devient vraiment compliqué de garantir les délais de livraison ou même de fixer les prix pour un nouveau chantier», s’inquiète un entrepreneur genevois, spécialisé dans la construction, interrogé sur ses affaires en ce début d’année. Pour y voir clair, la Fédération des métiers du bâtiment (FMB) a réuni jeudi 24 mars son comité, représentant toutes les branches de la construction. Le point avec son secrétaire général, Nicolas Rufener.

GHI: Comment se porte le secteur du bâtiment?
Nicolas Rufener:
Il y a une très forte pression sur les prix des matériaux. Tous ont explosé. Le coût de l’aluminium varie tous les jours. Quant à l’acier, il a augmenté de 35% entre le 1er et le 28 février. La pénurie touche aussi les pièces électroniques. Le secteur automobile en sait quelque chose. Seul le bois, qui avait aussi connu une très forte hausse, semble s’être un peu stabilisé.

– Cette situation n’est pas nouvelle. La guerre en Ukraine a-t-elle fait empirer les choses? Oui. Une usine sidérurgique ukrainienne, productrice d’acier, a été bombardée. De plus, l’Ukraine contient passablement de minerais de fer, dont l’exploitation et l’exportation sont stoppées. Le marché mondial ne dépend certes pas de l’Ukraine mais, aujourd’hui, sur ce marché tendu, cela a un impact. Par ailleurs, la production de matériaux nécessite de l’énergie. Là encore, la crise ukrainienne a des conséquences.

– Quid des livraisons? Les délais sont hallucinants. Et, conséquence inattendue du conflit: les chauffeurs de camions, qui pour beaucoup d’entre eux sont russes ou ukrainiens, viennent à manquer.

– A-t-on une idée de quand la situation va s’améliorer? Aucune. C’est l’un des soucis majeurs. On a très peu de visibilité. D’ailleurs, la société suisse des entrepreneurs qui publie, avec la KBOB (association groupant les maîtres d’ouvrages publics en Suisse), un indice trimestriel a renoncé à celui du 31 mars, reportant sa prochaine publication à juin.

– Quels sont les domaines les plus touchés? En plus des aléas, on sent un vrai ralentissement dans le gros œuvre et le génie civil. Il y a moins de demandes, moins de soumissions. Face à ces incertitudes, des gros investisseurs retardent des dossiers. De plus, du côté des commandes publiques, le Covid et le télétravail ont retardé une partie des mises en soumissions et adjudications. A ceci s’ajoute du côté de l’Administration des procédures de demandes d’autorisations parfois ralenties. Le second œuvre et les métiers techniques (plomberie, chauffagistes, électricité) sont moins touchés, eux qui profitent aussi de l’élan de l’assainissement énergétique des bâtiments. Reste le luxe qui souffre plus. Les clients extrêmement fortunés retardent en effet parfois certaines de leurs commandes.

– Y a-t-il des conséquences pour l’emploi? Le gros œuvre emploie, en ce moment, moins de temporaires. Les effectifs fixes enregistrés dans les caisses sont stables, voire en légère baisse. Dans le second œuvre et les métiers techniques, les tensions liées au manque de main-d’œuvre sont toujours présentes. Notamment dans les métiers liés au développement durable, tels que les poseurs de panneaux photovoltaïques.

– L’apport de main-d’œuvre ukrainienne pourrait donc être la bienvenue? Les Ukrainiens étant au bénéfice d’un permis S peuvent en effet être engagés. Mais, cela ne représentera pas un apport considérable. Ce ne sera pas un ballon d’oxygène.