Dans les pas des chasseurs de tags

Après une accalmie, les graffeurs genevois ont retrouvé leurs anciennes habitudes. Les tags sont inlassablement effacés par les experts du service Voirie ville propre de la Ville de Genève. Des entreprises privées sont aussi sur le pont. Reportage.

  • Un employé de la voirie en Ville de Genève efface patiemment un tag au parc des Bastions. TR

    Un employé de la voirie en Ville de Genève efface patiemment un tag au parc des Bastions. TR

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Un travail qui fait penser au mythe de Sisyphe, condamné à pousser un rocher jusqu’au sommet d’une montagne d’où il finit toujours par retomber. Ce vendredi matin, à deux pas du pont Sous-Terre, reliant la Jonction à Saint-Jean, deux employés du service Voirie ville propre de la Ville de Genève effacent les tags qui prolifèrent de manière presque constante sur les murs de la ville.

Armé d’une sorte de pistolet, lui-même relié à un système baptisé «aérogommeuse», ils projettent un produit abrasif à haute pression sur le dessin pour le faire disparaître progressivement.

«Il s’agit d’un produit respectueux de l’environnement. Comme nous sommes tout près du Rhône, nous faisons très attention à éviter toute pollution», précise le chef de groupe, qui coordonne en partie le travail des unités. D’après l’équipe, le tag en question serait très récent, quelques jours tout au plus. Alors que le mur redevient gris, on se demande quand l’inscription suivante fera son apparition. «Peut-être déjà cette nuit. Parfois, on a un peu l’impression de leur préparer le terrain», s’amuse le chasseur de tags.

Théorie de la vitre brisée

Dès lors, comment expliquer cette persévérance des autorités à vouloir tout nettoyer sur le domaine public? «Nous évitons qu’un lieu soit laissé à l’abandon, répond le chef du service, Mauro Lorenzi. C’est la théorie de la vitre brisée: plus on laisse faire, plus le sentiment d’insécurité augmente. Ce qui peut provoquer de nouvelles incivilités.» Autre nécessité: retirer les inscriptions politiques, signalées par le Ministère public. «Nous avons régulièrement des croix gammées ou des messages de haine», témoigne le responsable, soulignant que des «Z» ont également fait leur apparition en lien avec la guerre en Ukraine. Tous tags confondus, près de 2000 objets sont ainsi effacés chaque année.

Du côté de l’espace privé, la réalité est différente (lire encadré). «Nous n’avons aucune emprise. Par contre, nous recevons les plaintes et les demandes de renseignements», détaille Mauro Lorenzi. Il rappelle que seul l’enlèvement des tags sur l'espace public de la Ville de Genève, les biens et le mobilier urbain municipaux relève d’une compétence communale.

Toutefois, pour faciliter leur enlèvement sur les façades privées, les autorités municipales ont mis sur pied un système de contrats-types entre les propriétaires et les entreprises de nettoyage. Son nom: «Genève.net». Concrètement, pour un montant annuel de 500 francs, l’entreprise s’engage à intervenir dans un délai de 72 heures (si la météo le permet). Actuellement, cela concerne près 1100 immeubles.

Rien ne contraint les privés à se joindre à la lutte anti-tags. «Certains propriétaires font le choix de les laisser. Parfois pour des raisons financières, mais aussi esthétiques, par exemple lorsque le trait est bien exécuté», observe un employé, habitué à arpenter les rues genevoises et à scruter ses moindres recoins. Il en profite pour rappeler que le graffiti est autorisé à certains endroits délimités. Parmi ces lieux, on retrouve le sentier des Saules, le pont des Acacias ou encore le quai des Péniches.

Toujours plus haut

Ce qui n’empêche pas les tags de se multiplier à quelques mètres seulement de ces zones. Près du pont, on aperçoit notamment un gigantesque «LUX» peint en blanc, un tag que l’on retrouve dans différents lieux de la ville, tous illégaux. «L’objectif pour eux est d’être vu. Même si les risques d’amendes sont importants. En 2009, le Genevois qui peignait les célèbres «meuh» avait écopé de plus de 100’000 francs d’amende», rappelle le chef de groupe.

Des entreprises privées en renfort

TR • A côté des chasseurs de tags municipaux, plusieurs entreprises privées se sont également spécialisées dans leur enlèvement. Elles agissent principalement sur mandat du propriétaire, de la régie ou de la commune, partout dans le Canton. C’est le cas de Tagsoff, société active depuis une quinzaine d’années qui emploie trois salariés.

Son objectif: restaurer le support endommagé pour lui rendre son état initial avec des produits anti-graffitis à base d’agrumes, 100% biodégradables. «Plus on trouve des solutions pour enlever les tags, plus les tagueurs cherchent des techniques pour les faire durer», observe le gérant de l’entreprise. «Si le tag à retirer est trop haut, nous devons louer un camion nacelle, ce qui augmente les frais.»

Si les tags sont de plus en plus hauts pour être mieux vus, ils seraient moins nombreux. Le gérant constate une baisse générale. «On peut dire que depuis qu’il y a des brigades anti-tags, il y en a moins qu’avant. La loi Maudet a bien fonctionné», conclut-il.