Divorce: «Le père paye et ferme sa g...»

FAMILLE • L’association Père pour toujours Genève et l’avocate Anne Reiser déplorent le manque d’avancées en la matière sur le plan juridique et législatif.

  • Aujourd’hui, les pères sont plus engagés dès la naissance de l’enfant. 123RF

  • Aujourd’hui, les pères sont plus engagés dès la naissance de l’enfant. En médaillon l’avocate Anne Reiser. 123RF/MP

    L’avocate Anne Reiser. MP

«Le père paye et ferme sa g...», résume Jo. Tel est son sentiment après un an de procédure de divorce... «Et, ce n’est toujours pas réglé! C’est long, lourd et déstabilisant», ajoute ce quadragénaire visiblement peiné par la situation. Il faut dire que, depuis qu’il est séparé de son épouse, il voit peu ses enfants. Son cas est loin d’être une exception.

Comme en atteste Felipe Fernandez, secrétaire de Père pour toujours Genève. L’association qui promeut le maintien des relations des enfants avec leur père après une séparation reçoit en moyenne un à deux coups de téléphone par jour. «Certains demandent des conseils, d’autres cherchent un soutien face à une procédure longue et stressante. On sent beaucoup de colère... Le système n’est bon pour personne. Il aggrave le conflit entre parents, au lieu de l’apaiser», regrette Felipe Fernandez.

En la matière, la justice genevoise a encore du chemin à parcourir, explique-t-il. «A Monthey (Bas-Valais), on applique depuis plus de deux ans le «modèle de Cochem» (la ville allemande où cette méthode a vu le jour). On agit rapidement, en privilégiant la médiation. Ainsi, les intervenants aident les parents à trouver une solution pour la garde des enfants. Dans la plupart des cas, la situation se clarifie et les inquiétudes diminuent». Si, à Bâle-Ville, on utilise des protocoles similaires depuis des années et si un projet du même type est lancé dans l’Est vaudois, Genève est à la traîne. «Même s’il y a plus de gardes alternées attribuées qu’avant, cela reste «au petit bonheur la chance». Heureusement, les choses sont en route, notamment à travers le projet de loi du Conseil d’Etat sur la médiation», indique Felipe Fernandez, préférant voir le verre à moitié plein.

«Des lunettes des années 50»

L’avocate Anne Reiser, spécialisée dans le droit des familles, est plus sévère: «L’homme est inaudible. A moins d’être une «mère comme les autres», c’est-à-dire de se comporter telle une mère avec l’enfant, le père n’est pas entendu dans le système actuel.» Citant notamment l’exemple du père ayant enlevé ses deux enfants le 21 novembre à Thônex, elle ajoute: «Sans se prononcer sur ce cas précis, on constate que tout le monde est d’accord pour dire que la justice est trop lente dans ce domaine avec pour conséquence que les enfants (et les parents) souffrent. On doit s’interroger: comment se fait-il que des gens recourent à des actes de justice propre? Ne sont-ce pas des appels au secours? Cela démontre en tout cas qu’il y a urgence à traiter cette situation sociale.»

Et l’avocate de poursuivre: «En 55 ans, tout ce qu’on entendait par «famille» dans le Code civil de 1912 a été pulvérisé! Et pourtant le cadre législatif et juridique n’a pas ou peu évolué.» Au cœur de la problématique, analyse-t-elle: l’argent. «On part du principe en Suisse que la famille doit être financièrement autonome. Dans le cadre d’une séparation, on regarde qui gagne le mieux sa vie et on considère qu’il doit être plus sollicité financièrement. Et qu’il n’aura, de facto, pas le temps de s’occuper des enfants.» De quoi renforcer le sentiment de plusieurs pères, à l’image de Jo, d’être «une vache à lait».

Citant le fait qu’en Suisse, 17% des pères ont fait le choix de diminuer leur temps de travail pour être plus présents, Me Reiser s’étonne: «Cette réalité sociale n’est absolument par perçue par les juges, ni par les autorités de protection de l’enfance... Ces derniers portent des lunettes des années 50 pour observer une réalité de 2022!»

Evolutions cantonale et fédérale

Dénonçant une violence structurelle qui frappe particulièrement les hommes, Anne Reiser appelle à une évolution du cadre légal. Elle se réjouit ainsi du mouvement initié par le pouvoir judiciaire sur le plan cantonal en réponse au projet de loi du conseiller d’Etat Mauro Poggia sur la médiation. Et, sur le plan fédéral, du rapport du Conseil fédéral sur le traitement des séparations parentales, attendu pour 2023.

Felipe Fernandez, lui, se veut confiant: «Peu à peu, les mentalités vont changer. De nos jours, les pères sont plus engagés dès la naissance de l’enfant. Pour eux, c’est tellement une évidence qu’ils ne trouvent pas normal de devoir se battre pour la garde alternée.» Encore faut-il qu’ils soient entendus...