Eloge de la langue allemande

LANGUE • L’allemand? L’une des plus belles langues du monde. Plurielle, dialectale, décentralisée. La langue de la poésie. La langue de la musique. Accessible à tous: il suffit d’en avoir furieusement envie!

  • L’apprentissage de l’allemand à l’école doit être jouissif. 123RF

    L’apprentissage de l’allemand à l’école doit être jouissif. 123RF

Pendant plusieurs années, avant d’être journaliste, j’étais prof d’allemand. J’ai pratiqué ce métier avec ardeur. Je n’ai, à vrai dire, jamais eu l’impression de «travailler», avec toute la contrainte que peut porter ce mot: enseigner une langue vivante, à la fois décortiquer sa grammaire et faire parler les élèves, il y a dans ce chantier tant d’inattendu, de joie, d’échanges, que le processus relève de la passion. Quand je croise d’anciens élèves dans les rues de Genève, ils me saluent en allemand, nous rions, c’est la vie qui passe, la vie qui va.

Pulsion vitale

La langue allemande, avec l’italien et quelques autres, est l’une des plus belles du monde. Il faut l’aborder, à l’école, en donnant toute puissance à sa musicalité: lire des textes à haute voix, tous ensemble, lire des poèmes en cheminant dans la juste métrique et la juste durée (comme en musique) de chaque syllabe, passer à ses élèves des Lieder, Schubert, Brahms ou Mahler, ou même Hindemith, avec le texte sous les yeux. La langue, c’est la vie. Un poème lu à haute voix (ou mieux: chanté), c’est la consonne et la voyelle sublimées par le souffle surgi de nos entrailles. La grammaire est intellectuelle, il en faut comme d’un solfège, mais la langue elle-même est pulsion vitale.

Imprévisible et sensuelle

Je ne supporte pas d’entendre que l’apprentissage de l’allemand serait trop complexe, ingrat, inaccessible. C’est faux. Il existe un chemin vers la connaissance de la langue qui, certes exigeant, n’en est pas moins jouissif. Pour cela, il faut mettre en avant la langue elle-même, dans ce qu’elle a d’imprévisible et de sensuel. Prenez la traduction de la Bible par Luther en allemand de son temps (1522), faites lire le texte aux élèves sur une Cantate de Bach, ou un Psaume, ils sentiront la force de ce qui surgit. Passez-leur ce moment inimaginable de l’Elektra (1903) de Richard Strauss, livret du poète viennois Hugo von Hofmannsthal, où Electre reconnaît son frère Oreste, ils ne l’oublieront jamais.

Inventeurs de mots

L’Histoire de l’Allemagne, c’est l’Histoire de la langue allemande. Plurielle, dialectale, décentralisée, comme d’ailleurs la langue grecque, dont elle est si proche. Avec des inventeurs de mots: Luther, oui, et puis quatre siècles après lui, Bertolt Brecht (1898-1956), dont il faut absolument faire lire les Lehrstücke à haute voix par les élèves, chacun tenant un personnage, un autre encore pour le chœur, et pourquoi pas chanter ensemble les moments musicaux de l’immense compositeur Kurt Weill?

On dit de l’allemand qu’elle n’est pas une langue facile. Mais quelle langue est facile? Le grec, avec la complexité de ses formes verbales? L’italien, avec ses nuances raffinées de grammaire? Le français, pour un étranger? Je propose qu’on chemine vers la langue comme à un rendez-vous d’amour. Dans les veines, de l’inquiétude. Dans le cœur, un irrépressible besoin d’ouverture. Au fond de l’âme, la pulsion de trouver les mots. Les syllabes. Le souffle. Le rythme. Pour rompre le silence. Et passer pourquoi pas, soyons fous, passer à l’aveu.