Gare aux imposteurs du développement personnel

ARNAQUE • Dopés par l’actualité anxiogène, pandémie et guerre en Ukraine en tête, les coachs de vie et autres experts de la psychologie positive pullulent en Suisse romande. Attention à ne pas tomber entre les mains d’un charlatan!

  • Lors d’une des séances, Maria* a dû mettre sur papier ses blessures  pour mieux les combattre.

    Lors d’une des séances, Maria* a dû mettre sur papier ses blessures pour mieux les combattre. 123RF

Guérir de ses blessures, explorer son être profond, devenir plus ambitieuse, les promesses des nouveaux gourous du développement personnel sont quasiment infinies. A Lausanne comme à Genève, ils sont toujours plus nombreux à proposer des ateliers, des séances à distance ou encore des bougies aux pouvoirs magiques. Une panoplie de remèdes miracles qui a failli ruiner Maria*, une trentenaire habitant Lausanne: «Un jour alors que je sortais d’un divorce douloureux, je suis tombée sur le site internet d’un coach de vie. Il y affirmait qu’en libérant ses super-pouvoirs, on pouvait découvrir ce qu’il y avait au-delà du monde matériel. Sur le moment, l’idée me plaisait, sans savoir que j’allais tomber dans un véritable engrenage et risquer de tout perdre à cause de cet imposteur.» La jeune femme décide d’opter pour un pack d’initiation à 420 francs. Il comprend deux séances d’une heure avec un coach. Un tarif prohibitif qui ne dissuade pas Maria: «J’espérais enfin trouver un sens à ma vie en me débarrassant de mes émotions négatives. Après ces deux premières séances où le coach a passé davantage de temps à brûler des bougies qu’à me parler, j’ai payé pour quatre séances supplémentaires. Soit plus de 1200 francs au total pour entendre des banalités que l’on peut trouver dans les livres de développement personnel.»

L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais après avoir signifié son intention d’arrêter cette «méthode», la trentenaire se voit harcelée de coups de fil et messages par le prétendu coach de vie.

E-book à 800 francs!

Ce dernier parvient encore à lui vendre un e-book de 20 pages au prix de 800 francs. Avec le recul, Maria concède volontiers la naïveté dont elle a fait preuve. Contacté pour s’expliquer sur ses pratiques, le coach s e défend de toute forme de charlatanisme: «Le développement personnel n’est pas une science exacte. Si les gens y croient, cela marche un peu mieux. En ce qui concerne les tarifs que je pratique, cela n’est pas réglementé donc dire qu’ils sont trop élevés est faux. Je n’ai pas de formation spécifique dans le domaine donc je ne sais pas si je suis plus cher que mes concurrents. Seule certitude, nous sommes de plus en plus nombreux sur ce créneau.»

Période propice

Coach de cadres et dirigeants en entreprise à Genève, Edouard Cottin confirme cette prolifération, «dont certains s’auto-déclarent coachs sans avoir suivi de formation.» Pour éviter les arnaques, il conseille au futur client de réaliser un travail en amont. «D’abord sur lui-même afin de définir son objectif et ses attentes. Puis, dans la sélection de son coach», insiste-t-il. «Ce choix doit se faire avec la tête (en vérifiant sa formation et son parcours professionnel sur LinkedIn ou en contactant d’anciens clients ), avec le cœur (y a-t-il une connexion sur les valeurs?) et avec les tripes (écouter sa petite voix...). Une chose est sûre: si vous avez un doute, il ne faut pas y aller!» Et d’ajouter: «Le coach n’est pas un superman ou une superwoman, il doit avoir conscience de ses propres forces et faiblesses», voire savoir renoncer si ce n’est pas sa voie.

A l’image de Samantha*. Cette dernière a exercé durant cinq ans en tant qu’indépendante à Lausanne avant de tout arrêter. «Je savais que j’arnaquais des personnes déjà fragiles, je n’arrivais plus à me regarder dans le miroir. Au début, je ne voyais que l’argent facile puisque je gagnais environ 9000 francs par mois avec mes consultations et autres packs. J’ai fini par jeter l’éponge et je travaille désormais en entreprise comme comptable. Ce que je peux vous dire, c’est que la période est propice aux imposteurs, la pandémie et la guerre en Ukraine angoissent de nombreuses personnes. Elles se mettent du coup en quête de solutions toutes faites pour se sentir mieux, mais ce n’est pas avec une bougie magique ou des maximes niaises qu’elles vont y parvenir.»

Reste que le marché est en plein boom, une tendance qui ne devrait pas s’inverser de sitôt tant la promesse de bonheur est alléchante. Qu’elle soit vraie ou fausse…

* prénoms d’emprunt

«La psychologie positive est une véritable science»

Trois questions à Rosette Poletti, psychothérapeute, conférencière et diplômée de la faculté de théologie de Genève.

– Comment expliquez-vous le boom de la demande pour des coachs de vie?
Les gens aiment l’idée d’avoir un coach, plutôt qu’un psychothérapeute! Un coach prépare les futurs champions. Il ne soigne pas. Dans la complexité de la vie actuelle, la distension du lien social, la diminution du recours aux religions, l’anxiété stimulée par la pandémie puis les menaces de guerre, les gens cherchent des interlocuteurs et les «coachs de vie» représentent une possibilité de reprendre sa vie en main.

– La psychologie positive, ça marche?
Elle est aussi efficace que ceux qui l’emploient. Il s’agit d’une véritable science qui repose sur de nombreuses études scientifiques sur les conditions et processus qui contribuent au fonctionnement optimal des personnes, groupes et institutions. Ça n’a rien à voir avec la méthode Coué. Certains reprochent à la psychologie positive de faire fi des questions liées à la souffrance et aux pathologies psychiques. Elle est particulièrement favorisée par les coachs en tous genres, qui se veulent «positifs» et «optimistes», mais la vie est aussi «souffrance».

– Nous avons reçu plusieurs témoignages de personnes qui ont «consulté» des imposteurs et qui ont perdu plusieurs milliers de francs, cela vous étonne-t-il?
Ça ne m’étonne pas du tout! Je ne sais pas s’il s’agit d’imposteurs, mais le plus souvent de gens peu compétents. L’une des formations de coach de vie en Romandie exige simplement que les futurs étudiants aient 18 ans et suivent 550 heures de cours à distance. Quel coach de vie peut-on être à 18 ans? Les vrais coachs de vie ont fait eux-mêmes un travail de développement personnel. Ils ont appris à repérer leurs propres difficultés psychologiques afin d’être capables de vraiment accompagner, dans le plus grand respect, les personnes qui les consultent. Souvent, malheureusement, moins les gens sont formés, plus ils ont tendance à demander des honoraires élevés.

Propos recueillis par Fabio Bonavita