Fonds frontaliers: Paris sème la zizanie

ACCORDS INTERNATIONAUX • Depuis 1973, la Haute-Savoie perçoit 76% de la compensation financière genevoise. L'Ain 24%. En pleine période électorale, Paris a modifié ce pourcentage, sans consulter Genève.

  • De quel droit Claude Guéant, ministre de l'Intérieur, est-il intervenu dans ce dossier?

Depuis l'accord franco-suisse, conclu le 29 janvier 1973, le canton de Genève verse 3,5% de la masse salariale perçue par les travailleurs frontaliers à la Haute-Savoie et à l'Ain. Cette compensation financière n'a jamais cessé de grossir. Elle était de 10 millions de francs en 1973, elle a atteint 234 millions l'année dernière. Pour certaines petites communes agricoles de France voisine, cela représente les deux tiers de leur budget! Depuis presque 40 ans, on n'avait touché à rien. Et puis, patatras, le 29 mars 2012, peu avant les élections présidentielles, Claude Guéant, le ministre de l'Intérieur, le plus proche collaborateur de Nicolas Sarkozy, a favorisé la Haute-Savoie, dominée par la droite.

Une affaire de famille

A la demande de Christian Monteil, le président du Conseil général de Haute-Savoie (et par ailleurs maire de Seyssel), Claude Guéant a décidé d'octroyer 80% des fonds frontaliers aux Savoyards, au lieu de 76%. Résultat, le département de l'Ain, dominé par la gauche, ne recevra plus que 20%, au lieu de 24%. A priori, c'est une victoire pour Annecy, au détriment de Bourg-en-Bresse. Mais dans les faits, il s'agit d'une triple – sinon quadruple – erreur politique. D'une part, les affaires de famille doivent se régler en famille. S'il existe un différend sur la compensation genevoise, les trois protagonistes (le canton et les deux départements), qui se rencontrent régulièrement, pouvaient le régler autour d'une table.D'autre part, c'est une très grave erreur de faire entrer Paris dans cet accord, qui relève d'une exception tricolore. En effet, dans l'Hexagone, c'est l'Etat qui, normalement, collecte l'impôt sur le revenu, pas les départements et encore moins les communes. Ce qui veut dire que Paris, du jour au lendemain, a le droit d'empocher la totalité des fonds frontaliers, et de les répartir ensuite selon son bon vouloir. La tentation est grande, au moment où les caisses sont vides. Certes, le gouvernement français ne va pas ingurgiter d'un coup les 234 millions de francs (188 millions d'euros). Mais il peut fort bien en soustraire, 10, 20 ou 30 millions la première année, et un peu plus les années suivantes.

Genève France voisine

Alors, Annecy et Bourg-en-Bresse pourront bien tenter de protester. Mais quel est le poids de ces villes moyennes de province face à la capitale? Troisième erreur: avant de modifier la répartition de la compensation genevoise, la moindre des politesses aurait été de demander l'avis du payeur. Cela n'a pas été le cas. Certes, l'accord du 29 janvier 1973 est un accord entre la France et la Suisse (il a d'ailleurs été signé à Genève par les ambassadeurs des deux pays). Mais tout le monde sait que l'accord ne concerne que le canton de Genève et la France voisine.Enfin de quel droit un ministre de l'Intérieur peut-il intervenir sur ce dossier, qui ne concerne, normalement que les ministres français du Budget et des Affaires étrangères? Parions que si François Hollande l'emporte, le socialiste Rachel Mazuir, président du Conseil général de l'Ain, se précipitera au ministère de l'Intérieur pour rencontrer le successeur de Claude Guéant.