Sous-enchère salariale: la fin des tabous

SCANDALE • En Suisse, on exploite bien les travailleurs étrangers. Pourquoi se gêner, les sanctions sont dérisoires selon un rapport du Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO).

  • Les sanctions quasi inexistantes envers les entrepreneurs indélicats ne sont pas un frein à la sous-enchère salariale.

Lorsqu'un sujet fâche, le mieux est de ne pas en parler. Comme celui de la libre circulation des personnes entre la Suisse et l'Union européenne. A partir de 2004, Berne a mis en place des mesures d'accompagnement afin d'empêcher que «l'ouverture du marché du travail suisse entraîne une pression sur les salaires et les conditions de travail en Suisse». Mais depuis, plus rien, plus d'annonce. A croire que ces mesures magiques dissuadent tous les patrons de profiter de la faiblesse des salariés venus de Grèce, de Hongrie ou du Portugal.Eh bien, pas du tout. Le rapport de ce 27 avril du Secrétariat d'Etat à l'économie (SECO) nous assène un coup de bambou. Intitulé Mise en œuvre des mesures d'accompagnement à la libre circulation des personnes Suisse-Union européenne 1er janvier-31 décembre 2012, ce rapport souligne par exemple que les commissions paritaires ont constaté des taux d'infraction et de sous-enchères salariales supérieurs à la moyenne «dans la branche du nettoyage (64%), de la sécurité et de la surveillance (55%), de l'horticulture (56%) et des activités manufacturières (35%)». En clair, on exploite bien les étrangers.

Indépendant

Très curieusement, cette étude de 65 pages, fourrée de tableaux très complets et très précis (par branche d'activité et par canton), ne fait l'objet d'aucune publicité. Le Conseil fédéral craint que cette enquête ne donne du grain à moudre aux formations nationalistes, comme l'UDC, et à Genève, le MCG, hostiles à la libre circulation. Mais ce n'est sans doute pas un hasard si Berne a activé en avril la clause de sauvegarde concernant justement la libre circulation, choisissant de discriminer huit pays de l'Est. Quitte à provoquer un clash avec Bruxelles.L'enquête ne porte pourtant que sur une petite fraction des travailleurs étrangers, à savoir ceux qui sont détachés en Suisse pour une courte période (habituellement 90 jours) et sur les indépendants soumis à l'obligation d'annonce. Pour l'anecdote, le SECO signale que «les personnes qui se sont annoncées comme indépendantes dans le domaine des prestations de service personnelles sont actives principalement dans l'industrie du sexe». Preuve que des fonctionnaires à Berne peuvent avoir de l'humour, le rapport ajoute que dans ce cas précis «la problématique de la sous-enchère salariale n'étant pas le sujet principal».

Contrôles renforcés

Le canton de Genève n'a pas à rougir de cette enquête. Les employeurs ne se comportent pas plus mal que leurs collègues du reste de la Suisse. Tout juste peut-on constater que Genève est nettement plus surveillé que ses voisins. Sur 50'417 personnes contrôlées en 2011 dans toute la Suisse, 11'030 l'ont été à Genève (soit une augmentation de 74% par rapport à 2010), contre seulement 5051 (soit une baisse de 22%) dans le canton de Vaud, 3682 (baisse de 17%) à Zurich et 3198 (baisse de 10%) à Berne.Nous avons gardé le meilleur pour la fin: malgré le nombre important d'infractions, globalement les contrôles diminuent d'une année sur l'autre. C'est bien connu, le meilleur moyen de ne pas voir la faute, c'est de ne pas la chercher. Quant aux sanctions, la plupart des employeurs indélicats s'en tirent avec un avertissement. L'étude du SECO n'évoque qu'«une seule sanction pénale prononcée» en 2011…

«Genève est nettement plus surveillé que ses voisins»