«L’agriculteur souffre d’une image négative»

Pression administrative, hausse des coûts et déficit de popularité pèsent sur le monde agricole. Le Covid avait mis ces métiers en avant, avec le boom des ventes à la ferme aujourd’hui complètement évanoui. Résiliente et inventive, l’agriculture a pourtant de nombreux atouts. Interview du directeur d’AgriGenève.

  • François Erard, directeur d’AgriGenève, prend la pose dans les champs de colza. STEPHANE CHOLLET

    François Erard, directeur d’AgriGenève, prend la pose dans les champs de colza. STEPHANE CHOLLET

«Un jour, ça finira à coups de fourches!» lance un agriculteur à bout de nerfs. En l’absence de gel en ce mois de mars, ce dernier a dû sortir le tracteur à 4h du matin. «Je me suis fait insulter par des habitants se plaignant d’être réveillés par le bruit.» Cet autre renchérit: «On nous accuse de polluer ou encore de gaspiller l’eau. Bref, on est responsable de tous les maux!» François Erard, directeur d’AgriGenève, confirme que «l’agriculteur souffre d’un déficit d’image». On a voulu savoir comment se porte cette profession en 2023, après une parenthèse enchantée durant la crise Covid. Interview du directeur à la veille de l’assemblée générale d’AgriGenève, mercredi 22 mars.

GHI: A l’heure où l’on peut tout importer, à quoi sert l’agriculture genevoise? François Erard: Elle a un rôle essentiel! Rappelons qu’on a besoin d’un agriculteur trois fois par jour pour nous nourrir. Aujourd’hui, l’agriculture suisse nous nourrit 1 jour sur 2 et la genevoise 1 jour par semaine. L’agriculture a plein d’autres fonctions telles que l’entretien du territoire, l’aide à la biodiversité et la préservation des ressources. La zone agricole représente 40% du territoire. Dans un canton urbain, c’est pas mal. Cela dit, cela peut causer des problèmes de cohabitation avec les habitants. Que ce soit ceux qui se plaignent du bruit du tracteur ou ceux qui laissent leur chien se promener dans les cultures. La solution: communiquer!

– Quels sont les problèmes concrets auxquels les agriculteurs sont confrontés? L’agriculture se porte relativement bien. On a des soucis liés aux changements climatiques. En 2021, il y a eu beaucoup de pluie tandis que 2022 a été marquée par la sécheresse. Sans compter l’augmentation des coûts de l’énergie, des emballages ou encore des engrais. Globalement les charges ont augmenté de 30% sans avoir la possibilité de reporter ce coût sur le prix des marchandises. L’autre problème, qui n’a rien à voir avec le climat, c’est la pression administrative! L’agriculture est sans doute le secteur le plus surveillé. Les paysans d’aujourd’hui croulent sous la paperasse. Et cela affecte le moral des troupes.

– Y a-t-il d’autres sujets qui fâchent? L’épisode post Covid nous a aussi plombés. Pendant la crise sanitaire, on a vu des files de gens venir acheter des produits frais et locaux à la ferme. Or, si on considère que pré-Covid, on est sur une base 100. Pendant la crise sanitaire, on est monté à 150 voire 200 et aujourd’hui, on est à 90 voire 80. Ce qui a fait très mal, c’est de voir ces mêmes personnes partir de l’autre côté de la frontière pour faire leurs achats.

– Peut-être parce que c’est moins cher? Parlons-en: l’alimentation est devenue une variable d’ajustement. Il y a certes des charges incompressibles comme le loyer, l’électricité, etc. Mais, dans notre société, on n’est pas prêt à renoncer à la voiture, à l’abonnement à une plateforme de streaming ou au dernier téléphone. En revanche, on rogne sur ce qu’on met dans nos assiettes! C’est d’autant plus paradoxal que les Suisses ne consacrent que 7% de leur budget pour se nourrir. Aujourd’hui, on dépense plus pour notre assurance maladie que pour notre alimentation! Qui plus est, le citoyen n’est pas cohérent lorsqu’il s’agit de sa consommation personnelle.

– Insinuez-vous qu’il y a une différence entre l’urne et le caddie? C’est en effet ce qu’on constate. Quand il vote, le citoyen prend des mesures très restrictives concernant l’agriculture suisse: zéro pesticides ou encore contre l’élevage intensif. A contrario, au moment de faire ses achats, il va vers le produit le moins cher. Le consommateur opte pour des légumes cultivés aux antipodes qui ne sont pas soumis aux mêmes règles. De la même manière, on dit: «L’agriculture pollue» et on va prendre Easyjet le week-end suivant!

– Parallèlement, la crise ukrainienne a démontré l’importance de conserver une certaine autosuffisance alimentaire. Où en est-on de ce point de vue? En termes d’alimentation, on n’a pas eu l’habitude de manquer de quoi que ce soit. Or, avec la crise ukrainienne, on a connu des problèmes d’apport de matières premières: en colza, tournesol et autres céréales. De quoi ébranler nos certitudes. En Suisse, nous possédons un filet de sécurité. La loi fédérale sur l’aménagement du territoire impose le maintien d’une surface d’assolement (SDA). A Genève, 8450 hectares sont réservés aux grandes cultures, type blé et pomme de terre. Cela permettrait de nourrir la population. A noter qu’on perd chaque année une vingtaine d’hectares et que l’on arrive bientôt à la limite de la SDA.

– Pourquoi l’agriculteur a-t-il mauvaise presse selon vous? Le paysan a eu son heure de gloire. Il était respecté. Les gens faisaient le lien entre le champ et le contenu de leur assiette. Aujourd’hui, ce lien est cassé. L’agriculteur est stigmatisé. C’est celui qui fait du bruit la nuit, qui pollue, qui détruit la biodiversité. Alors que c’est tout l’inverse! Une étude a par exemple démontré que c’est grâce au travail des paysans que certaines espèces d’oiseaux sont revenues.

– Comment soigner ce déficit d’image? En communiquant et en mettant en avant les jeunes! Plusieurs d’entre eux quittent la communication, l’horlogerie, la finance pour reprendre l’exploitation agricole de leurs parents. Pour ne citer qu’un exemple: Lara Graf qui élève des bufflonnes à Bernex. C’est un métier qui reste attrayant. Et la nouvelle génération fait preuve d’inventivité.