LE CHARPENTIER DE NAZARETH

En quelques jours, tout a été liquidé. Le Credit Suisse, deuxième banque du pays, fondée en 1856 par le prestigieux radical zurichois Alfred Escher, l’homme du tunnel du Saint-Gothard, l’un des pères mythiques de la Suisse moderne, a été subitement pris dans une tourmente, aspiré par un courant d’une puissance dévastatrice, et finalement désintégré ce dimanche 19 mars, en début de soirée. C’était le jour de la Saint Joseph, un homme simple et aimant, modeste charpentier, père de famille, un homme bien, avec le sens du devoir. Selon nos informations, cet artisan, actif il y a deux mille ans, et inscrit au Registre du commerce de Nazareth, ne portait ni costume, ni cravate, ni montre de luxe.

On nous disait «too big to fail», il paraît que c’est de l’anglais, la langue des puissants, ceux qui connaissent la grande finance, les investissements à risques, les fonds spéculatifs, et qui, contrairement à Saint Joseph travaillant le bois, ne se salissent jamais les mains. On nous disait ça, mais le géant est tombé, pulvérisé. Déjà, se souvient-on qu’il fût jamais? Dimanche, c’était le Credit Suisse, et demain? Quel puissant d’aujourd’hui, imbu de son arrogance, connaît-il son destin? Chacun de nous, peut-être, se prend pour un géant, et pourtant un beau jour redeviendra poussière.

Nous, les Suisses, interrogeons-nous sur nos valeurs. La banque en est une, assurément. Mais la cohésion sociale, la fraternité à l’intérieur du pays, en est une autre. Simple, et souriante. Comme Joseph, le charpentier de Nazareth.

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