Cantique pour la grande traversée

RADE • Suite à un récent contre-projet en Commission des transports, les Genevois pourraient bien être appelés à trancher entre la petite traversée (Rade) ou la grande (Lac). Ou… rien du tout!

  • Elle est toujours aussi belle cette Rade qui fait tant parler d’elle. GENÈVE TOURISME

    Elle est toujours aussi belle cette Rade qui fait tant parler d’elle. GENÈVE TOURISME

La première fois que j’ai couvert une conférence de presse sur la traversée de la Rade, c’était comme pigiste au Journal de Genève, à la fin des années septante! Trente-cinq ans plus tard, des rides, de la fatigue, du surpoids, des centaines d’heures passées dans les bouchons, mais… pas la moindre traversée! Ni pont, ni tunnel, juste le néant. Elle est toujours aussi belle, cette Rade, immaculée, bouleversante par certains matins d’automne, avec sa géographie de l’émotion, l’appel de ce triangle qui vous tient avec ses griffes de petite mère. Mais les voitures s’entassent. Rien ne bouge. Et il paraît même qu’il va falloir rafistoler le pont du Mont-Blanc! Alors, quoi? Le bac? Le ferry, comme dans le Vieux Port de Marseille, au temps de Pagnol? La traversée à la nage? Ou alors, l’apartheid: il y aurait, pour l’éternité, ceux de la Rive gauche et ceux d’en face: on s’écrirait des cartes postales, qui passeraient par Saint-Gingolph. Il y aurait Buda et Pest. On se ferait des signes, des petits coucous. Par beau temps.

Une autoroute

A moins qu’un jour, le peuple ne dise oui. A quoi? A la petite traversée, dite «de la Rade», version UDC, de l’avenue de France au Port-Noir, sous forme de tunnel, un projet urbain, s’inscrivant dans les limites de la ville, visant à désengorger les quais et le pont du Mont-Blanc. Ou plutôt, à la grande traversée, dite «du Lac», par exemple du Vengeron à la Pointe-à-la-Bise, plus ample, plus en amont, beaucoup plus de nature à nous propulser dans l’avenir. Une traversée (notamment) autoroutière, qui viendrait chercher le trafic pendulaire et surnuméraire bien avant l’entrée dans la ville. Et qui, surtout, pourrait enfin parachever le périphérique dont Genève a un impérieux besoin. Car il ne vous a peut-être pas échappé que, malgré la félicité de l’autoroute de contournement, il y bien une autoroute, mais… elle ne contourne rien! Un peu comme un Cercle de l’Enfer, que le Diable, en son infinie distraction, aurait oublié de fermer.

Voir plus grand

Alors oui, avec une majorité de la Commission des transports du Grand Conseil, emmenée par son président, le PLR Daniel Zaugg, le citoyen que je suis plaide ici, de tout son cœur, pour la grande traversée. Parce que la petite, c’est trop tard. Déjà il y a vingt ans, à l’époque de M. Joye, elle était caduque. S’il faut traverser ce lac au bord duquel je suis né, s’il faut donner à cette Rade qui fut parmi les premiers émois visuels de mon enfance, alors que ce soit avec ampleur. Que le triangle soit grand. Qu’un pont suspendu, par exemple, constitue sa base avec majesté. Que San Francisco et l’île de Ré, unis dans une même décrépitude, meurent de jalousie dans la comparaison. Que les voiles latines, celles de Charles-Albert Cingria et de Gilles, honorent de leur présence la modernité enfin réinventée d’un urbanisme d’audace et de vision.

Que vive la traversée

Je sais, je vais me mettre à dos l’ordre le plus équestre de l’UDC, ainsi que les fulgurances prophétiques de M. Jenni. Je sais, les uns vont m’aimer, les autres me haïr. Malheur à moi, pour avoir eu l’insolence de saisir, de ses mains périssables, le plus monstrueux serpent de mer de la politique genevoise. Qu’il me morde, que je périsse. Mais que vive la traversée.