Faisons confiance au peuple suisse

CONFÉDÉRATION • Au milieu d'un océan d'arguments défavorables à l'élection du Conseil fédéral par le peuple, voici un plaidoyer très nettement en faveur du oui. Nous votons le 9 juin prochain. A chacun de se déterminer!

  • L'élection du Conseil fédéral par le peuple: Pascal Décaillet affûte ses arguments.

    L'élection du Conseil fédéral par le peuple: Pascal Décaillet affûte ses arguments.

Depuis plus de vingt ans, je suis favorable à l'élection du Conseil fédéral par le peuple. A travers mes chroniques et éditos, j'ai maintes fois plaidé dans ce sens, conscient que je ne suis pas majoritaire, et que je serai sans doute, le 9 juin prochain, dans le camp des perdants. Mais, tant pis, je donne mon avis, comme tout citoyen de ce pays en a le droit. J'ai connu de près beaucoup de conseillers fédéraux, à commencer par celui qui m'a le plus ébloui: Jean-Pascal Delamuraz. J'aimerais que la Suisse donne un jour à cette fonction un ancrage populaire, une légitimité venue d'en bas et du grand nombre, auxquels tout le monde serait gagnant.

LONGS COUTEAUX

Depuis 1848, c'est le Parlement qui élit le Conseil fédéral. Tous les quatre ans, dans la foulée des élections fédérales. Et puis, en cours de législature, chaque fois qu'un conseiller fédéral meurt ou démissionne. Ces élections, pendant mes années bernoises, puis mes fonctions ultérieures, je les ai toutes couvertes, sur place, sur une quinzaine d'années. Vécu, aussi, de l'intérieur, les fameuses «Nuits des longs couteaux», où la combinazione, à quelques heures du scrutin, atteint son comble. Celle qui a permis, en 1983, d'évincer Lilian Uchtenhagen pour Otto Stich. Celle, encore, qui a refusé de porter au pouvoir des gens comme la Saint-Galloise Karin Keller-Sutter ou le Vaudois Pierre-Yves Maillard.

CONFIANCE

En 1848, il fallait la diligence pour aller jusqu'à Berne. Personne ne connaissait les figures politiques, encore moins celles des autres cantons! Alors, on a fait confiance au Parlement. Lequel, d'ailleurs, soyons honnêtes, nous a désigné pas mal d'hommes d'Etat: le socialiste Tschudi, le PDC Furgler, le radical Delamuraz, par exemple. Mais aujourd'hui, tout a changé. La Suisse affronte une tempête qui ne fait que commencer. Elle a besoin, à la barre, tous partis confondus, des personnalités les plus fortes. Elire une souris grise, c'est causer un tort profond à notre pays. Et justement, le système électoral qui consiste à se frotter à quatre millions d'électeurs potentiels plutôt qu'à 246, aller sur le terrain, parler dans d'autres langues, faire au fond 26 campagnes, permettra aux caractères trempés d'émerger. Il y a, dans une campagne au suffrage universel, un rite initiatique autrement plus sélectif que dans les seuls effets de cour des Pas perdus parlementaires.

LE LIEN

Et puis, le lien avec le peuple. Celui qui est muni de la légitimité du suffrage universel pensera davantage au pays tout entier, alors qu'hélas, aujourd'hui, d'aucuns ne semblent avoir pour horizon d'attente que le microcosme de la Coupole fédérale. Bien sûr, il faudra des garanties de représentations de minorités dont nous, Romands, faisons partie. Mais enfin, aujourd'hui, les cantons, même bilingues (Berne, Fribourg, Valais), même multilingues (Grisons) élisent directement leurs exécutifs, et ont inventé des systèmes d'équilibre interne. Moi, je dis que la chose est jouable. Dans l'intérêt supérieur du pays. Je sais, le 9 juin, je perdrai. Mais je reviendrai toujours à la charge: un jour, j'ignore quand, nous changerons ce système hérité du milieu du 19e siècle, et saurons inventer un lien plus direct, plus affectif aussi, plus concernant pour le citoyen, avec notre gouvernement fédéral.