La comédie des invalidations, ça suffit

COMMENTAIRE PASCAL DÉCAILLET

 

La démocratie directe suisse, dans nos 26 cantons et au niveau fédéral, est unique au monde. Chez, nous, le peuple, d'en bas, peut s'exprimer. «Le peuple», n'entendez pas «toute la population», mais tous ceux qui jouissent du droit de vote. Au milieu d'une Union européenne dont tout le monde relève le déficit démocratique, le modèle suisse a de quoi être brandi avec fierté. Ce sont nos initiatives et nos référendums. Ils existent au niveau des communes, des cantons et de la Confédération. Ils sont, à chaque fois, un défi du peuple au peuple. Le rendez-vous d'une poignée d'initiants, au départ, avec le peuple tout entier, celui qui vote et qui décide, le souverain ultime dans notre pays. Il y a quelque chose de fort, de sacré, de tellurique, dans ce lien direct, avec lequel on ne doit en aucun cas jouer.Hélas, le Grand Conseil genevois, dans le sillage d'ailleurs de la plupart de nos Parlements cantonaux et des Chambres fédérales, en vertu d'une dérive parlementaire condamnable, a pris l'habitude, de plus en plus, de considérer notre démocratie directe comme un paillasson. Qu'il utilise à sa guise. Camouflant des décisions politiques sous un scandaleux verbiage juridique, tout juste bon à impressionner le manant, lui donner l'impression que ce verbe-là doit être très juste, puisqu'il sonne compliqué. Le langage des clercs! Latin d'église, sans le miracle de la sonorité musicale. Poudre aux yeux.Le mot magique, pour éviter le vote populaire, c'est «invalidation». Une initiative dérange? Invalidons-la! Partiellement, complètement, en invoquant l'absence d'unité de matière, en la traitant de normative, toutes choses dont le commun des mortels se fout complètement. Ce qu'il est en droit d'exiger, le commun, c'est qu'une initiative ayant obtenu les signatures lors de la récolte, passe un beau dimanche devant le peuple. Qu'elle provienne de l'Asloca sur les congés-ventes, du PS sur les allégements fiscaux, de l'UDC sur la traversée de la rade, des syndicats sur l'inspection du travail, elle se doit d'être tranchée par l'ultime souverain, hors du filtre insupportable de corps intermédiaires qui n'ont déjà que trop de pouvoir. Ainsi, le texte du Conseil d'Etat, mercredi 28 novembre, dans un sabir byzantin signé de Mme Künzler et de la Chancelière, pour dire tout le mal qu'il pensait de la traversée de la rade, version UDC, n'est rien d'autre qu'une honte, où l'on camoufle un déni de démocratie derrière un insupportable jargon juridique. Oui, ce jour-là, le gouvernement s'est foutu du monde.En agissant ainsi, l'exécutif et surtout le législatif ne font que renforcer, chaque fois un peu plus, la légitime méfiance du peuple face à ses élites, lorsque ces dernières ne l'écoutent plus. Il conviendra, à l'automne 2013, de s'en souvenir.