Le mythe du «terrain»

ÉLECTIONS • Le terrain: de gauche comme de droite, ils n'ont plus que ce mot à la bouche. Il faut bien faire sentir, dans le discours, qu'on est proche des gens. Et si c'était une posture? Une mythologie comme une autre…

  • Se montrer. Partout. Pour être proche des gens.

    Se montrer. Partout. Pour être proche des gens.

Une candidature, c'est un être humain. Et ce sont aussi des idées. L'être incarne les idées, les défend, les illustre. Mais sa campagne, on le sait depuis toujours, ne se ramène pas à ses seules prises de position. C'est aussi lui-même, sa personne, son tempérament, son caractère que le candidat propulse sur le devant de la scène. Et jusqu'à son visage! Lequel, jusqu'à nouvel ordre, figure en grand sur les affiches électorales. Alors, que faut-il mettre en avant? Ses seules capacités d'argumenter. Ou sa seule bouille, la bonhomie de sa seule présence? Deux excès: ne vouloir être qu'une machine à démontrer, histoire d'avoir toujours raison; ne vouloir que se montrer, au mépris de tout discours idéologique. Vaste question! Elle se pose depuis que la politique existe.

MOT MAGIQUE - Ecoutez un peu les discours politiques d'aujourd'hui. De gauche comme de droite, ils n'ont plus qu'un mot à la bouche: le terrain. C'est devenu le mot magique, le sésame. Il faut «être sur le terrain, aller à la rencontre des gens, savoir les écouter. C'est assurément exact. Mais ce qui frappe, chez les candidats, c'est cet impérieux besoin de le répéter. A croire que certains passent davantage de temps à dire qu'ils sont sur le terrain, qu'à s'y trouver réellement! Les partis, ces dernières années, se sont tellement coupés de leurs électorats que maintenant, par réaction, il est devenu obligatoire, dans le discours politique, de cultiver une image de puissante proximité tellurique. On serait tous en bas avec les gens d'en bas, tous surgis de la terre, comprenant les préoccupations des petites gens. Et si cette posture rhétorique relevait, elle aussi, d'une forme de mythologie?

SE CONSTRUIRE - Oui, il existe un mythe du terrain. A tel point que certains candidats au Conseil d'Etat passent leur temps à se construire, photographies à l'appui, notamment sur les réseaux sociaux, l'image de champions du monde de la proximité. Il faut être partout, et immédiatement le faire savoir. Dans toutes les fêtes sympa, à côté des gens, les vraies gens, le bon peuple. Il faut faire terroir, goûteux, vin et fromage, fête de lutte, réunion de motards, inaugurations, anniversaire. Il faut montrer qu'on y est allé, qu'on s'est greffé sur l'événement, qu'on a été en phase. Soit. C'est le jeu. Mais nous, citoyens, électeurs de l'automne prochain, nous sommes en droit de ne pas en être dupes, montrer les limites du système, et surtout exiger autre chose.

MINIMUM D'IDÉOLOGIE - Exiger quoi? Mais un minimum d'idéologie, pardi! Parce que la symbiose extatique sur une Harley, c'est bien, mais l'amorce d'un discours politique, avec des références, de l'ancrage historique, une vision prospective, c'est tout de même pas interdit! Faute de quoi, le risque de sombrer dans le degré zéro commence gentiment à menacer. Juste être là. Juste se montrer. Juste être sympa. Juste jouer sur la corde de la proximité, c'est un peu juste. Et au fond, c'est assez méprisant, aussi, pour le fondement même de la dialectique politique, qui repose sur l'antagonisme des idées, la confrontation des arguments. Un candidat sympa, c'est bien. Un candidat sympa avec des idées, c'est mieux.

«Il faut être partout, et immédiatement le faire savoir»