Maudet: l'oiseau de feu

PLR • Pierre Maudet, éternel jeune premier de la politique genevoise. Dépeint ici comme un oiseau de haut vol: nicheur, migrateur, ou prédateur des grandes altitudes?

  • Et si Pierre Maudet, génie du réseau, était, au fond, un homme seul?

    Et si Pierre Maudet, génie du réseau, était, au fond, un homme seul?

C'est une sorte de grand oiseau, au long col. Attentif, le regard perçant. Milan noir? Aigle royal? Ou plutôt échassier. Héron! Il niche, sur ses eaux. N'émigre que pour mieux revenir. Nul poisson, même frêle, malingre, ne lui échappe. A partir de quel âge Pierre Maudet, 34 ans, a-t-il décidé de devenir le roi du marais? Au bord du fleuve, le grand oiseau, délicieux, se pose. Regarde l'alluvion. Ici, passent les cadavres. Là, sa nourriture. Perché sur ses pattes, Maudet demeure. C'est son système, sa force. Sa limite, peut-être?

DESTIN - J'ai la chance de connaître Pierre Maudet depuis longtemps, d'avoir assisté à la naissance de l'oiseau de feu, son ascension. Pour comprendre ce surdoué de la politique, il faut lire les Lettres, Notes et Carnets du capitaine Charles de Gaulle, rédigés pendant sa captivité en Allemagne, entre 1916 et 1918. Entre deux tentatives d'évasion, le jeune officier s'emmerde. Alors, il écrit. Hors de lui de ne pas participer, sur le champ de bataille, à ce qui sera la victoire. De sa grise Silésie, il jette sur le papier de prodigieuses visions, comme s'il était César. Il n'est qu'un captif parmi des centaines de milliers d'autres, mais cérébralement, il embrasse le monde. Prépare son destin.

INTELLECT - Ainsi, Maudet. La première force de ce jeune prodige est tout simplement, tout bonnement intellectuelle. Cerveau surdéveloppé: sa grande force, et sûrement aussi sa faiblesse. D'un côté, ça fait tellement plaisir d'avoir face à soi un type avec des références, une culture historique, une intime connaissance de ses souches (le radicalisme), une vision pour le pays. Mais en même temps, on se dit parfois que le jeune ambitieux n'est pas là pour être pape, ni empereur, mais juste constituer le cinquième du gouvernement de la Ville, ou peut-être un jour le septième de celui de l'Etat. De Genève. Pas de l'univers! Avec bien peu de classe et des monceaux de jalousie, un conseiller aux Etats Vert s'est permis de lui rappeler qu'il n'était, pour l'heure, responsable que des poubelles en Ville.

SOLITUDE - Cérébral, visionnaire. Mais les gens, il les connaît vraiment? Leur souffrance? Il les aime? Ou ne voit-il en eux que la machine enregistreuse à électeurs? Juste la plèbe qui le fera roi? La fragilité de l'individu, il s'en soucie, la perçoit? Ces antennes-là, de l'ordre de l'invisible, il en est doté? Prenez son opuscule, au titre gaullien: Une certaine idée de Genève. Brillant, bien foutu, nickel. Mais ça tombe d'en haut! L'oiseau de feu, dans la nuit bleue, a cogité. Résultat: de puissants concepts, mais aussi de vastes solitudes. Il y manque l'ancrage, la puissance de la terre, le lien mystique avec la base. Et si Pierre Maudet, génie du réseau, était, au fond, un homme seul?

COURAGE - Sa candidature est un acte de courage. Il aurait pu rester planqué. Peinard, à la Ville, blanchir sous le harnais, s'engueuler deux fois par an avec Pagani, passer des pactes avec Sandrine. Mais non. L'oiseau de feu se réveille. Le héron prend son envol. Tente les grandes altitudes, celle des prédateurs. Hommage, pour cela, lui soit rendu. La solitude d'un chef, même dans les airs, vaut toujours mieux que l'impuissance impersonnelle des rampants et des cocktails.