Préférence cantonale: l'autogoal de Michel Charrat

STRATÉGIE • En menaçant d'en appeler à la Commission européenne, trop appliquée à ses yeux par Genève, le président des frontaliers ne se rend pas compte qu'il commet, face à l'opinion publique suisse, une erreur de communication majeure.

  • Michel Charrat, le patron des frontaliers, a commis une erreur de stratégie.

    Michel Charrat, le patron des frontaliers, a commis une erreur de stratégie.

Comment un homme de l'intelligence de Michel Charrat a-t-il pu commettre une telle erreur stratégique? Cet homme de 65 ans, qui défend les frontaliers avec beaucoup de cœur et de conviction, annonçait vraiment d'étranges choses, contre-productives à sa propre cause, dans l'AGEFI du vendredi 5 avril 2012. En gros, M. Charrat, président du GTE (Groupement Transfrontalier Européen), prépare un dossier à charge contre Genève, où il est vrai que la notion de préférence cantonale a fait beaucoup de chemin, depuis quelques années, ce qui le froisse grandement. On peut le comprendre. Mais en appelant la Commission européenne à trancher, Michel Charrat ne se rend pas compte qu'il vient heurter quelque chose de fort dans le dialogue avec les Suisses. Il marque un autogoal.

TÂCHE HONORABLE
M. Charrat défend les intérêts des frontaliers. C'est une tâche parfaitement honorable. «A Genève, déclare-t-il à l'AGEFI, les accords bilatéraux ne sont pas respectés, des employeurs pratiquent la préférence cantonale, certains frontaliers n'ont pas la possibilité d'être promus dans leur entreprise. Ces pratiques existent avec l'aval du gouvernement genevois». Un peu plus loin, il annonce qu'il va saisir la Commission européenne, «qui pourra mieux veiller au respect des accords bilatéraux».

MESSAGE AUTODÉTRUIT
La Commission européenne! Par le seul prononcé de ces deux mots, M. Charrat autodétruit son message par rapport à l'opinion publique genevoise. Le souci numéro un, et ô combien grandissant, de cette dernière, ce ne sont vraiment pas les revendications de nos amis français auprès de Bruxelles, mais au contraire l'idée d'un lien entre taux de chômage à Genève et nombre de frontaliers sur le marché de l'emploi. Ce lien, aujourd'hui, est perçu puissamment, non seulement par le parti qui en a fait son fonds de commerce, non seulement par la gauche de la gauche, mais par de plus en plus de monde, et jusqu'à une partie du PLR. Et même jusqu'au Conseil d'Etat qui, nous l'avons maintes fois montré ici, récupère allègrement, depuis bientôt deux ans, ce concept de «préférence cantonale».

PRESSIONS MULTIPLIÉES
Dans ces conditions, de la part de M. Charrat, venir annoncer à un journal suisse qu'il va saisir la Commission européenne, cette même instance qui multiplie, avec hélas bien peu de respect pour notre petit pays, les pressions sur nous, cette démarche est une erreur. Peut-être pas juridiquement. Mais politiquement. Psychologiquement. Les Suisses n'aiment pas cela. Ils n'ont pas dans leur tête l'idée qu'une instance extérieure à leur souveraineté aurait des leçons à leur donner. Et si la Commission n'est saisie que comme signataire d'un contrat qui, aux yeux de M. Charrat, ne serait pas respecté, alors bonjour la riposte sur tout ce qui, au détriment des Genevois, ne fonctionne que dans un seul sens. Dans tous les cas, c'est l'autogoal.

IGNORANCE
Ce qui surprend, chez un homme familier de notre pays, c'est, sur ce coup, l'ignorance de quelque chose de puissant dans la mentalité suisse. On ne résout pas les problèmes de voisinage sans quelque respect mutuel. Encore moins, en menaçant de faire intervenir un acteur qui n'est pas nécessairement perçu, ici, comme un ami de la Suisse. C'est le moins qu'on puisse dire.