Harcelé au cycle d’orientation, il ne voulait plus vivre

La mère d’un ado, cible de ses camarades de classe, raconte le parcours du combattant pour s’en sortir.

  • Victime de harcèlement, un élève peut être brisé, jusqu’à être poussé au suicide. 123RF/RAWPIXEL

    Victime de harcèlement, un élève peut être brisé, jusqu’à être poussé au suicide. 123RF/RAWPIXEL

C’est un beau gamin, yeux bleus et longs cheveux bruns. Son sourire illumine les photos. De quoi remplir de joie le cœur d’Anne*, sa maman. «Il peut être fier de lui. Moi je le suis», lâche-t-elle. A 15 ans, Nathan* mange, sourit, étudie, joue au hockey et a des amis. «Alors qu’il y a peu, il ne voulait plus vivre.» Un vœu terrible que son fils, âgé de 12 ans à l’époque, a formulé à trois reprises.

Insultes et vidéos sur WhatsApp

Tout commence en première année du cycle d’orientation. Quelques mois après la rentrée, Anne observe un changement de comportement. «Il ne mangeait plus, vomissait tous les jours, maigrissait, dormait mal et ne me parlait plus.» Est-ce l’adolescence ou les médicaments que Nathan prend suite à une blessure au hockey? Anne, mère célibataire, s’interroge. «J’ai finalement senti qu’il fallait que j’aille plus loin. Et puis, c’est sorti.» Nathan est victime de harcèlement scolaire. Il raconte les brimades du groupe de garçons de sa classe, les «Ah non pas lui!» quand il arrive et les «Ta gueule!» dès qu’il parle.

«Tu es sûr qu’il n’y a rien d’autre?» insiste Anne, guidée par l’instinct maternel. Le reste, c’est sur le téléphone portable de son fils qu’elle le découvre. Car, comme dans un cas sur deux, le harcèlement se poursuit sur les réseaux sociaux (lire encadré). «Il y avait un groupe WhatsApp qui devait servir à se donner les devoirs en cas d’absence.» Alors que Nathan se remet de sa blessure au hockey, les harceleurs se déchaînent: insultes, montages vidéo mettant le collégien en scène au milieu des rires et raillant sa dyslexie. Mais aussi incitations au suicide. «T’as pas de vie. Tu vis pas dans un bunker, vas y saute. T’oses pas, fais-le!» Effondrée, Anne alerte immédiatement la professeur de classe.

Les meneurs, les suiveurs...

Son message remonte à la direction et à l’assistante sociale. Dès le lendemain, la doyenne passe en classe et invite les élèves qui le souhaitent à dire ce qu’ils savent sur ce «groupe WhatsApp». Les langues se délient. «On a découvert, comme toujours dans ces cas là: les meneurs, les suiveurs et les observateurs», décrypte Anne. Les parents sont convoqués. Tandis que, de son côté, la mère de Nathan porte plainte contre X.

Le harcèlement cesse. Nathan retourne en cours. «Il a décidé que ce n’était pas à lui de changer d’école. Il a juste voulu changer de classe.» Mais, le problème n’est pas réglé. «Les enfants lui en voulaient. C’était le traître, le vilain petit canard», explique Anne, regrettant le manque de suivi de ce type d’affaires.

Briser la loi du silence

D’autant qu’en troisième année, rebelotte. Les symptômes resurgissent. Deux élèves le prennent pour cible. «Ils le menaçaient, notamment lors d’appels anonymes. Une fois, le plus virulent des deux lui a ordonné de baisser les yeux. Mon fils a répondu: «Je ne suis pas ton chien.» Et l’autre: «T’as de la chance qu’on soit en cours, sinon je t’aurais pété la gueule.» Une scène qui échappe à la vigilance du professeur...

Refusant de se laisser faire, Nathan va dénoncer les faits auprès du nouveau doyen. A neuf reprises. En vain. «J’ai moi aussi appelé et vu le doyen, poursuit Anne. Il affirmait qu’il prenait les choses en main mais qu’il fallait attendre d’être sûr que c’était du harcèlement.» Après deux mois, n’y tenant plus, Anne se lève lors de la réunion de classe et raconte, les larmes aux yeux, ce que subit son fils.

«Les parents étaient choqués. Ils ne savaient pas.» Un rendez-vous est organisé, en dehors de l’école, entre le principal harceleur, ses parents, Anne et Nathan. Cette mise à plat s’avère bénéfique. «Il est dommage que l’école n’ait pas assuré la médiation, regrette Anne. Que faut-il pour qu’ils réagissent? Qu’un enfant se fasse casser la gueule? Ce qui est vicieux, c’est qu’il s’agit de violence non physique.»

Avec le recul, Anne se félicite d’avoir vu les signes. Et conseille aux parents d’observer, de communiquer et de briser la loi du silence. L’enfer est maintenant derrière eux. Devenu la mascotte de sa promo, Nathan a repris du poids et se prépare à passer sa matu pro. De quoi rendre sa mère encore plus fière. Pour peu que ce soit possible. * Noms connus de la rédaction

Le harcèlement touche 5 à 10% des jeunes

Le cas de Nathan illustre bien la spirale infernale du harcèlement. Après l’avoir entendu sur Radio Lac en janvier, la Cour des comptes a d’ailleurs tenu à auditionner la maman de Nathan. Dans son rapport sur le sujet rendu public mardi 15 octobre, la Cour précise que le harcèlement scolaire «touche 5 à 10% des jeunes entre 4 et 16 ans.» Et qu’il est amplifié par le recours aux nouvelles technologies puisqu’«un cas de harcèlement sur deux se poursuit sur les réseaux sociaux». Conscient du phénomène le Département de l’instruction publique, de la formation et de la jeunesse (DIP) avait lancé en 2016 un plan d’action et de prévention contre le (cyber)harcèlement. Ce plan, fondé sur une large autonomie laissée aux établissements, est jugé plutôt bon par la Cour des comptes. Cependant certains points sont à améliorer tels que la formation des enseignants ainsi que la documentation des cas de harcèlement. La Cour relève aussi l’absence de pilote et des lacunes dans la communication et la coordination entre les acteurs. D’où six recommandations. «Le DIP remercie la Cour des comptes pour le travail effectué qui va permettre d’améliorer les systèmes déjà mis en place, réagit son porte-parole, Pierre-Antoine Preti. C’est dans ce sens, que le département a accepté toutes les recommandations.» Parmi les mesures à venir: un formulaire de signalement pour les situations de harcèlement.