Ils refusent que la Ville rebaptise leur rue

De nombreux habitants de la rue Jean-Violette, dans le quartier de Plainpalais, ont lancé une pétition pour qu’on ne touche pas au nom de leur rue. La Municipalité calme le jeu. Explications.

  • La rue Jean-Violette pourrait être rebaptisée «rue Grisélidis-Réal». STéPHANE CHOLLET

    La rue Jean-Violette pourrait être rebaptisée «rue Grisélidis-Réal». STÉPHANE CHOLLET

Maria a 55 ans, dont quarante-cinq vécus à la rue Jean-Violette, dans le quartier de Plainpalais. C’est dire à quel point chaque recoin de la zone est marqué de souvenirs. Comme de nombreux autres habitants, cette mère de famille a été «surprise et indignée» d’apprendre par courrier, fin février, que la Ville de Genève entendait renommer sa chère artère «rue Grisélidis-Réal», en hommage à la prostituée et écrivaine, décédée en 2005, qui se revendiquait féministe.

«Mis devant le fait accompli»

De quoi susciter une véritable levée de boucliers. «Nous sommes mis devant le fait accompli. Ce n’est pas ça la démocratie», dénonce Chantal, 66 ans. «On en a marre de ces lubies idéologiques financées avec l’argent du contribuable et déconnectées des préoccupations réelles de la vaste majorité des habitants», ajoute un quadragénaire après avoir fustigé au passage les 56’000 francs d’argent public investis récemment dans la féminisation «inclusive» et controversée de panneaux de circulation. Et ce n’est pas tout. Maria évoque aussi «les tracasseries administratives coûteuses à venir pour entériner cet éventuel changement d’adresse notamment pour les commerçants».

A ce jour, elle et près d’une centaine de résidants, dénonçant une «atteinte à l’identité locale», ont signé la pétition «Ne touchez pas au nom de notre rue». Ils espèrent être reçus par la maire Sandrine Salerno. Celle-ci affirme que sa porte leur reste ouverte (lire encadré).

Les pétitionnaires auront-ils gain de cause? Difficile à dire car leur sort dépend surtout de la commission cantonale de nomenclature. Lors de sa prochaine séance du 23 mars, c’est elle qui donnera son préavis au Conseil d’Etat. Si ce dernier l’accepte, l’écrivain Jean Violette (1876-1964) s’effacera devant sa consœur Grisélidis Réal sur les panneaux de la rue cet été. D’après le règlement sur les noms géographiques, cette modification ne peut être réalisée – entre autres – «que si l’intérêt public l’exige» et si le nouveau nom «bénéficie d’une large acceptation».

Cent rues féminisées

Affaire à suivre donc, d’autant que quinze autres rues sont concernées par ce projet né d’une motion acceptée par le Grand Conseil en juin dernier. Le Canton doit renommer, dans les trois prochaines années, au moins 100 rues d’importance avec des noms de femmes ayant marqué l’histoire locale. Pour mémoire, la motion découle du projet www.100elles.ch lancé par l’association féministe l’Escouade. «Avec 100elles, on était dans une sensibilisation bienvenue. Pas dans un rebaptisage aux forceps», déplore amèrement Maria.

Sandrine Salerno: la «force du symbole»

«Rien n’est permanent sauf le changement», commence Sandrine Salerno citant Héraclite. Contactée, la maire de la Ville de Genève rappelle que la rue Jean-Violette porte ce nom depuis 1970. L’édile précise aussi qu’en cas de changement, les nouvelles et anciennes plaques coexisteront pendant plusieurs années. «Nous examinons comment faciliter les démarches administratives inhérentes à ces changements», relève encore l’élue socialiste. Laquelle insiste sur la «force du symbole et la portée historique» de ce changement dans le «combat essentiel de l’égalité femmes-hommes». Pourquoi ne pas simplement donner des noms de femmes aux rues nouvellement créées? «Car la motion demandait de renommer les lieux. Et aussi, il n’y a pas assez de nouvelles rues pour faire une différence. Nous ne changerons pas les choses en ne mettant des femmes à l’honneur que dans des ruelles ou des impasses en périphérie», conclut Sandrine Salerno qui confie avoir reçu «moins d'une petite centaine de réactions négatives». Côté financier, le projet devrait coûter 230 francs par emplacement de plaque.