La féminisation des rues s’invite dans les municipales

Le MCG lance une pétition pour s’opposer au projet «féministe» de la Ville de Genève prévoyant de rebaptiser 16 rues. Lequel irrite aussi des représentants d’autres partis.

  • La féminisation des noms de rues en hérisse plus d’un. STÉPHANE CHOLLET

La volonté de la Ville de Genève de débaptiser 16 rues cette année pour les féminiser continue de faire des vagues. A l’instar des habitants de la rue Jean-Violette, à Plainpalais, dont la pétition s’étoffe (GHI du 5.03.20), nombre d’autres résidents grognent. Dans ce contexte, le Mouvement citoyen genevois (MCG) a lancé sa propre pétition dimanche 8 mars au marché de Plainpalais.

Des élus timorés sur ces questions

«On ne peut pas bannir le passé sans même prendre le pouls des personnes concernées. Cette décision est exagérée, contre-productive et antidémocratique», assène Marie Vendrell. La candidate MCG aux municipales réside rue Jean-Violette. C’est elle qui est à l’origine du texte avec Daniel Sormanni. Intitulée «Pour en finir avec l’instrumentalisation politique genrée de l’espace public, laissons nos rues actuelles en paix», la pétition s’attaque au projet dans son ensemble tout en faisant référence à l’onéreuse et controversée «féminisation inclusive» des panneaux de circulation.

L’idée de rebaptiser dans les trois prochaines années au moins 100 rues du canton de noms de femmes découle d’une motion acceptée par le Grand Conseil en juin 2019. «C’était dans un contexte particulier, une semaine avant la grève des femmes, rappelle la candidate PLR aux élections Michèle Roullet. La motion M 2536-A avait été votée à une faible majorité: 46 oui [ndlr: sur 100 députés] pour 5 non et un astronomique 24 abstentions qui en dit long sur le malaise suscité par ce thème, chez les élus masculins notamment, lesquels craignent parfois d’être taxés de machisme s’ils font valoir d’autres points de vue sur ces questions.»

Michèle Roullet prévient que le projet sera attaqué en justice si le Conseil d’Etat venait à l’avaliser. «Les noms de rue sont un patrimoine reçu nous reliant à nos racines. Certains datent du XVIe siècle! Il est dangereux de réécrire l’histoire en voulant la faire coller à une vision déformée forcément fugace, car idéologique, du présent! Cela s’apparente à brûler des livres ou à effacer une personne gênante sur une photo historique», avance l’enseignante.

«Féminisme déconnecté»

Pour elle, comme pour Marie Vendrell, ce «féminisme déconnecté, absurde et déraciné» n’améliore en rien la condition de la femme. Il attiserait même les clivages, les communautarismes de tout poil et une guerre des sexes larvée. Les politiciennes sont aussi dubitatives quant à certaines des personnalités retenues pour renommer les rues. Elles rejoignent en cela cet habitant de la rue Jean-Violette père d’enfants en bas âge: «Honorer Grisédilis Réal en tant qu’écrivaine, c’est bien à condition de ne pas effacer un autre pour cela. Mais mentionner sur la plaque son activité de prostituée comme si c’était un modèle à suivre, non!»

«Ne pas avoir honte de cette figure»

Ils en sont convaincus: il faut une rue Grisélidis-Réal à Genève. Tel est le but de la motion qui sera déposée le 24 mars par les conseillers municipaux en Ville Ariane Arlotti (Ensemble à gauche) et du Vert Omar Azzabi. «A l’occasion du projet visant à rebaptiser les rues, je cherchais une grande dame contemporaine», explique ce dernier. Le nom de Grisélidis Réal, prostituée et artiste, arrive sur le tapis. «Elle a mis en avant le plus vieux métier du monde de la plus belle des manières, insiste le Vert. Genève ne doit pas avoir honte de cette figure historique. Au contraire!» Quant à la pétition des habitants de la rue Jean-Violette, Omar Azzabi s’interroge: «Les pétitionnaires sont-ils représentatifs? Est-ce vraiment à eux de décider du patrimoine genevois de l’ensemble de la ville?» Evoquant un possible référendum sur le sujet, il conclut: «Si le blocage persiste, les Pâquis pourraient accueillir cette rue.»

Déjà 25 plaques «100Elles» volées

Voici un an, des plaques fuchsia honorant des femmes étaient apposées dans 100 rues de Genève dans le cadre du projet de sensibilisation www.100elles.ch. «Au moins 25 ont été volées et le phénomène s’est fortement aggravé depuis que la Ville a décidé que 16 rues seront effectivement débaptisées pour être féminisées», révèle Rojin Sadeghi coprésidente de L’Escouade , association féministe née fin 2017 et comptant une vingtaine de membres, toutes de sexe féminin. Ses consœurs et elles voient dans ces vols une action organisée témoignant du bien-fondé de leur lecture des choses. Laquelle postule que la rue est «un espace de pouvoir à conquérir». Les militantes sont «fières» de voir leur «combat féministe» s’ancrer dans la réalité de 16 rues. Les désagréments administratifs et résistances engendrées relèvent pour elles d’un mal nécessaire.