«Le Palais des Nations n’est pas une tour d’argent»

ONU • Michael Moeller, le directeur général de l’Office des Nations unies, est l’homme qui a ouvert la Genève internationale aux Genevois. Le plus genevois des Danois a rapproché deux mondes qui s’ignoraient ostensiblement. Grande interview.

  • Michael Moeller: «Le Palais des Nations et les agences alentour sont la maison du peuple.»  FRANCIS HALLER

    Michael Moeller: «Le Palais des Nations et les agences alentour sont la maison du peuple.» FRANCIS HALLER

  • Michael Moeller: «Le Palais des Nations et les agences alentour sont la maison du peuple.»  FRANCIS HALLER

    Michael Moeller: «Le Palais des Nations et les agences alentour sont la maison du peuple.» FRANCIS HALLER

  • Michael Moeller: «Le Palais des Nations et les agences alentour sont la maison du peuple.»  FRANCIS HALLER

    Michael Moeller: «Le Palais des Nations et les agences alentour sont la maison du peuple.» FRANCIS HALLER

  • Michael Moeller: «Le Palais des Nations et les agences alentour sont la maison du peuple.»  FRANCIS HALLER

    Michael Moeller: «Le Palais des Nations et les agences alentour sont la maison du peuple.» FRANCIS HALLER

«Chaque personne sur cette planète est touchée quotidiennement par ce qui se passe dans cette ville»

Michael Moeller, le directeur général de l’Office des Nations unies à Genève

GHI: Vous avez ouvert le ghetto de la Genève internationale (GI) pour la rapprocher des Genevois. Un succès récompensé par plusieurs prix. Nommé par intérim en 2013, vous occupez toujours le poste de directeur général de l’Office des Nations unies. Vous êtes devenu l’homme de la situation?

Michael Moeller: Nous poursuivons nos efforts pour casser les murs qui n’ont aucune logique. J’ai toujours été sidéré de constater que ces deux planètes se tournent autour sans jamais se toucher. Ça n’a aucun sens. Je l’affirme: le Palais des Nations et les agences alentour sont la maison du peuple. Il est donc naturel de se rapprocher et de se parler.

– Concrètement, qu’est-ce que cela signifie pour les Genevois?

– Notre premier objectif a été d’expliquer l’utilité et l’impact de ce qu’entreprend la Genève internationale: chaque personne sur cette planète est touchée quotidiennement par ce qui se passe dans cette ville. C’est un fait méconnu. Pas seulement par les Genevois, mais par la population mondiale en général, par les décideurs, par mes propres collègues parfois. Le Palais des Nations est le symbole physique de la Genève internationale et fait partie du patrimoine historique de Genève, de la Suisse et du monde. Mais ce n’est pas une tour d’argent.

 

­– Vous voulez aussi ouvrir et animer le quartier des Nations unies, un aspect du projet de rénovation qui a débuté le printemps dernier...

– Oui, un nouveau centre d’accueil nous a été offert et sera transformé en petit musée interactif. Un bout de terrain qui nous appartient sera alloué à la Cité de la musique. Cela me plaît beaucoup d’avoir une salle de concert devant notre porte. Le quartier va s’animer avec l’ouverture de restaurants. Nous organisons aussi des fêtes en ville qu’on appelle «mix and mash». Quand il fait beau, jusqu’à un millier de jeunes se retrouvent autour d’un verre et d’un thème dans une ambiance festive.

 

– Vous avez aussi autorisé l’entraînement de la Course de l’Escalade dans le parc du palais. Une première...

– C’est la troisième année qu’on ouvre le parc. C’est une belle tradition durant laquelle les coureurs (de 2000 à 4000) viennent s’entraîner. Des employés de l’ONU les accueillent et dressent des stands pour expliquer l’action de la Genève internationale. Depuis 2010, nous organisons aussi des journées portes ouvertes tous les deux ans. Cette année, quelque 14’000 personnes étaient présentes. En 2016,  avec la Fondation de Genève, nous avons effectué un tour dans 45 villes suisses avec un bus aménagé comme un musée ambulant. Tout cela fait partie de notre volonté d’ouverture et d’éducation.

 

– A Berne, un homme a compris l'importance de la GI: Didier Burkhalter. Son successeur aux Affaires étrangères, Ignazio Cassis, est-il de la même trempe? L'avez-vous déjà rencontré?

– Oui, récemment. Nous avons eu une très bonne conversation. Il m'a confirmé qu'il soutient pleinement la GI et a assuré poursuivre la bonne collaboration que j'avais eue avec Didier Burkhalter. Je ne vois pas de faille dans le soutien qu'on reçoit des autorités suisses. Quand je le compare aux autres pays hôtes à travers le monde, Genève est de loin la meilleure collaboration que l'on puisse avoir.  

 

 

– Parlons d’un sujet chaud: la Syrie. C'est indéniablement un échec des Nations unies...

Pardon! Je ne suis pas d'accord. Ce n'est pas un échec des Nations unies, mais celui d'abord des Syriens et deuxièmement des pays membres de la région incapables de trouver une solution politique. Nous avons entrepris tous nos efforts pour résoudre cette crise. On fait beaucoup au niveau humanitaire.

 

– Certes, mais les négociations n'avancent guère et Damas dicte les règles du jeu, comme on l'a vu lors du dernier round qui s'est tenu à Genève au début décembre. Même son allié russe ne peut rien faire.

– Moscou a forcé les représentants du gouvernement syrien à venir. C'est clair que Damas considère qu'il a gagné et qu'il ne se sent pas obligé de faire des concessions. Toutefois, on a encore manqué une opportunité. Des centaines de personnes, des enfants surtout, vont continuer de mourir. C'est un échec global. C'est aussi un échec des membres du Conseil de sécurité. Mais surtout des Etats de la région. La paix en Syrie ne sera pas possible sans leur volonté de s'entendre pour y parvenir. Hélas, on en est loin. Et la tragédie se poursuit.

 

– Face à la pollution, à la perte de la biodiversité, au réchauffement climatique, à l'hyper-violence, aux violations des droits de l'homme, restez-vous optimiste?

– Je suis évidemment optimiste par profession. Mais aussi pour d'autres raisons. L'être humain a génétiquement un réflexe de survie très fort. Quand notre survie est en question, on trouve toujours des solutions. Je suis aussi optimiste, car la communauté internationale s'est donné il y a deux ans un nouveau cadre global pour le développement durable (ndlr: la Cop21 à Paris), autour duquel de plus en plus d'acteurs se retrouvent pour élaborer une feuille de route globale. Nous avons la capacité, le savoir-faire, les personnes compétentes et l'argent pour y parvenir. Il nous manque certes une volonté politique, mais c'est là que les acteurs de la société civile entrent en jeu. C'est un puits d'optimisme dans lequel nous travaillons tous. Mais cela va prendre du temps.

 

– Qu'est-ce qui vous scandalise le plus dans le monde?

– La pauvreté tout d'abord. Mais aussi le réchauffement climatique qui est le défi central. Et l'injustice. On a atteint un niveau d'inégalité insoutenable. On doit s'opposer à un système où huit hommes possèdent autant que la moitié de la population mondiale (3,6 milliards). Cela renforce le sentiment d'injustice et engendre à terme toutes les exactions, le terrorisme, le manque de confiance en nos institutions.

 

– Vous présidez aussi la Conférence du désarmement. Rien n'a bougé depuis plus de vingt ans. Vous avez clairement exprimé votre frustration. Qu'en est-il?

– Vingt et un ans, c'est inacceptable. C'est presque criminel. Mais ça bouge. L'Assemblée générale a voté en faveur d'un traité sur l'élimination des armes nucléaires. Certes, les pays détenteurs le rejettent et, pire, renouvellent leur stock. D'autres actions urgentes sont à prendre, surtout dans le domaine de la technologie et de l'intelligence artificielle. Ces technologies se développent à une vitesse hallucinante dans le secteur privé sans presque aucun contrôle international. Les grandes sociétés dans ce domaine – ou celui de la cyber-sécurité – se rendent compte qu'il est urgent de réguler pour que ces armes soient utilisées de manière éthique. La Silicon Valley, où sont implantées ces sociétés, et la GI collaborent pour y parvenir.

 

– Quel est l'événement qui vous a le plus marqué depuis votre entrée en fonctions?

– J'étais en fonctions depuis trois jours (en 2013) quand est tombée l'annonce du début des pourparlers sur le nucléaire iranien. A 3 heures du matin, les parties ont déclaré ici qu'elles allaient négocier. Cela prouve que même dans un monde difficile, il est possible de parvenir à des accords durables. C'était un moment phare.

 

– C’est votre quatrième mandat à Genève, dont le premier remonte à 1979 au Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR). Que représente cette ville pour vous? Qu’est-ce qui vous plaît?

– Beaucoup de choses. C’est une ville qui marche bien. Elle a les côtés positifs d’une ville de dimension moyenne, mais aussi ceux d’une métropole, surtout du point de vue culturel, bien plus riche qu’elle ne le serait normalement sans son élément international. J’aime la proximité de la nature. J’y ai aussi beaucoup d’amis. C’est au centre de l’Europe et on y mange bien.

 

– Un souvenir particulier avec des Genevois?

– (il réfléchit) Quand j’étais ici la première année en 1979, j’étais jeune, j’aimais aller au Moulin à danses (MAD) où je m’amusais beaucoup. J’y ai passé des moments très agréables.

               

– Pour les vacances de Noël, vous allez au Danemark voir la famille ou ailleurs?

– Je pars au Cap-Vert. Et j’ai interdit à quiconque ici de m’appeler. J’aime choisir avec ma compagne des endroits où ni l’un ni l’autre n’a mis les pieds. Le Cap-Vert en est un. J’ai aussi dans l’arrière de ma tête que peut-être la connectivité ne sera pas si bonne qu’ailleurs (rires). Il y a les plages et le soleil pour dix jours. Ce sera parfait.

Carrière onusienne

Michael Moeller, né au Danemark en 1952, a commencé sa carrière en 1979 au siège du Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) à Genève. Le Danois a ensuite exercé de nombreuses fonctions à l’ONU, en Iran, au Mexique, en Haïti, à Chypre et à New York. Il est actuellement directeur général de l’Office des Nations unies à Genève (ONUG), le quatrième poste qu’il occupe dans la Cité de Calvin. Sa deuxième patrie en quelque sorte.