Les carriers repeignent le Salève

ÉCOLOGIE • But de l'opération? Restituer à la roche sa couleur naturelle.

  • La peinture projetée, de couleur noire au sortir de la pompe, est progressivement délavée par la pluie.

    La peinture projetée, de couleur noire au sortir de la pompe, est progressivement délavée par la pluie.

Vous n'avez rien remarqué de particulier en regardant le Salève? Pourtant, les entreprises Descombes et Chavaz, qui exploitent les carrières du massif, recouvrent la roche d'une peinture biodégradable à base de compost pour lui rendre sa couleur naturelle. La peinture est appliquée au moyen d'une pompe montée sur un véhicule tout-terrain. De loin, l'œil non exercé n'y voit goutte. Mais en regardant plus attentivement, on peut distinguer des strates sombres, un peu comme des traits de mascara, qui se superposent horizontalement. L'opération se déroule en deux temps, explique Bernard Chavaz: «Tout d'abord, on nettoie et sécurise l'endroit avec un brise-roche (ndlr: sorte de marteau-piqueur géant). Puis on projette la peinture depuis ce véhicule équipé d'un tuyau d'aspersion et d'un réservoir. Au sortir de la pompe, elle est de couleur noire. La pluie la délave progressivement et la roche retrouve sa couleur naturelle.»

Montagne amputée

Environ 5000 litres de peinture sont nécessaires pour traiter un hectare. On a dépassé cette surface puisque plus de 7500 litres ont déjà été utilisés jusqu'ici. A l'origine de ce «relooking», le souci de répondre aux inquiétudes des milieux écologistes. La «nuisance visuelle» est leur seul sujet de plainte mais, dans les années 90, les carriers ont été traités de «fossoyeurs». Bernard Chavaz sort d'anciens articles de presse: il y est question de «montagne amputée» et de «balafre». «A l'époque, j'étais encore à l'école et je ne comprenais pas très bien ce qui se passait. Mais je me souviens que cela a beaucoup affecté ma famille. Ces attaques nous ont blessés parce que nous avions vraiment envie de bien faire.» Dont acte.En 1995, son père décide de tester un produit révolutionnaire à base d'oxydes métalliques. Le conseiller d'Etat libéral Claude Haegi, alors en charge du Département de l'intérieur, de l'environnement et des affaires régionales, assiste à une démonstration publique où les spectateurs se montrent impressionnés. Mais des doutes surgissent quant à l'innocuité du produit. L'entreprise Chavaz demande des comptes au fabricant. Dans l'incertitude, il préfère se tourner vers une patine de roche d'origine végétale.

Carrières condamnées

En parallèle, l'exploitant «revégétalise» les abords de la montagne, c'est-à-dire qu'elle replante des espèces végétales là où il n'y a plus de matériau à extraire. Il faut savoir que les carrières, exploitées depuis huit générations à Etrembières, sont condamnées à terme. Une directive paysagère, signée en 2008 par le premier ministre de l'époque François Fillon, prohibe en effet toute extension. L'arrêt est programmé pour 2034. A noter qu'en Suisse, l'utilisation d'une patine de roche pour redonner à une montagne sa belle couleur initiale est un procédé quasi inconnu. Les carrières vaudoises de Lessus, à Saint Triphon, et celles du Mormont, à Eclepens, n'en ont jamais entendu parler.