«Ma crainte est de voir le taux de chômage grimper à 7%»

Le conseiller d’Etat chargé de l’Emploi, Mauro Poggia, constate déjà les effets dévastateurs de la crise sur le marché genevois. Il craint une flambée du chômage dès cet automne, à la fin des réductions horaires de travail (RHT).

  • Mauro Poggia: «Chaque jour, je reçois  trois ou quatre annonces  de licenciements collectifs.» DRK

    Mauro Poggia: «Chaque jour, je reçois trois ou quatre annonces de licenciements collectifs.» DRK

A la crise sanitaire du Covid-19, qui n’est pas terminée à en croire Mauro Poggia, s’ajoute une crise économique sans précédent. Le point avec le conseiller d’Etat chargé du Département de la sécurité, de l’emploi et de la santé.

GHI: Comment se porte l’emploi aujourd’hui dans le canton? Mauro Poggia: Mal. On ne va pas se le cacher. En quinze jours, entre mi-mars et la fin de ce même mois, nous avons reçu 15’000 demandes de chômage partiel. Alors que l’an passé, le même office en a reçu une dizaine à peine. Ces demandes de réduction d’horaire de travail (RHT) concernaient 125’000 personnes. Quand on voit ce chiffre, il y a de quoi s’inquiéter.

– D’autant que les RHT coûtent cher... C’est la Confédération qui finance le chômage partiel. On a eu 100 millions de francs pour le mois de mars, pour quinze jours, et 200 millions pour le mois d’avril. C’est pratiquement 200 millions par mois. C’est gigantesque.

– Quelles sont vos craintes? Que ce chômage partiel soit suivi par des licenciements et bascule vers un chômage de longue durée. En un mois, on est passé d’un taux de chômage de 3,9% à 5%. Et on craint que cela continue de grimper. Au point d’arriver à 7% voire au-delà.

– Quels sont les indicateurs de cette hausse à venir? Tous les jours, je reçois des annonces de licenciements collectifs. Donc de plus de six personnes. J’en reçois trois ou quatre par jour. Et la situation risque d’empirer à la fin des RHT, prévue pour le moment fin août.

– Que risque-t-il de se passer alors? On ne peut pas licencier un employé en RHT. Il faut d’abord mettre fin aux RHT et ensuite assumer le salaire pendant le délai de congé. Or, pendant ce préavis, si l’entreprise n’a pas les moyens de payer les salaires, elle va mettre la clé sous le paillasson. Des employés vont arriver au chômage avec un, deux voire trois mois impayés de leur employeur. Et là, il faudra que l’on puisse se substituer aux employeurs défaillants pour soutenir ces travailleurs. On va avoir des situations économiques et sociales dramatiques ces prochains mois.

– Des situations difficiles pour les Genevois... Pas seulement. Les frontaliers sont aussi touchés. C’est toute une région qui est concernée. Or, on sait bien que quand toute une région est sinistrée, le redémarrage de l’économie attise d’autant plus cette concurrence que l’on connaît aujourd’hui entre main-d’œuvre locale et étrangère. Les entreprises en difficultés financières vont vouloir réduire leur masse salariale soit en licenciant, soit en allant chercher des gens moins chers.

– Vous craignez une recrudescence du dumping salarial? La concurrence va en tout cas être exacerbée. D’autant que Pôle emploi (en France), c’est son travail, va tout faire pour replacer ces chômeurs frontaliers. Il faudra être actif et convaincant. Les employeurs devront aussi jouer leur rôle en s’efforçant le plus possible d’engager les compétences locales, pour éviter une crise sociale dramatique. Et qui toucherait à nouveau l’économie.

Tout faire pour éviter la sinistrose

Les perspectives concernant l’emploi ont de quoi influer sur le moral de la population. Pour le conseiller d’Etat Mauro Poggia, il faut agir.

– L’Etat a-t-il un rôle à jouer pour empêcher la sinistrose? Bien sûr. On a prévu de mettre en place un coaching de nos demandeurs d’emploi. Avec un soutien psychologique. On ne trouve pas de travail si on n’a pas le moral. Il est certain qu’on a la crainte que ce désespoir s’installe. Que ce soit ici ou de l’autre côté de la frontière. On risque aussi par ricochets d’assister à une dépression du marché immobilier avec l’arrivée sur ce marché des biens dont les propriétaires veulent se débarrasser car ils ne sont plus en capacité de rembourser leur prêt.

– Comment enrayer cette chute des dominos? L’Etat doit soutenir toute la chaîne: les marchés publics, les entreprises. Et là, on a besoin de la Confédération. Elle ne doit pas être pingre. Payer du chômage partiel, c’est moins cher que de perdre des emplois. Il est clair qu’il va falloir faire des contrôles. Mais, ne pas soutenir l’économie maintenant c’est payer une facture beaucoup plus lourde plus tard.