«Ma soirée clandestine en plein centre-ville»

La fermeture des restaurants n’empêche pas l’organisation de soirées hors la loi où les normes n’existent pas. Sans cautionner, ni banaliser, GHI vous raconte l’une d’entre elles. Reportage.

  • Un lieu gardé secret par les convives. PHOTO PRÉTEXTE/123RF

Samedi soir à 21 heures, le rendez-vous est fixé devant un célèbre café-restaurant du centre-ville. Semi-confinement oblige, pas un chat dans les rues. Un coup de fil rapide et une porte dérobée, à l’arrière de l’édifice, s’entrouvre presque aussitôt.

Le maître des lieux, l’index posé sur la bouche, me fait signe de me taire et d’entrer. Une fois la porte refermée, il allume une lampe de poche et se fraie un passage au milieu des marchandises entreposées dans un long couloir. On dirait deux cambrioleurs.

Amis et clients fidèles

Au bout de quelques pas, on pénètre dans un bar rustique mais convivial. Là, une dizaine de personnes bavardent. L’atmosphère est chill et détendue. Les participants à cette soirée clandestine, en grande majorité des quadras et des quinquas, dont deux couples, n’en sont pas à leur coup d’essai. Ils sont amis ou clients fidèles des lieux. Personne ne porte de masque et les coupes de champagne et de vin coulent à flots au milieu des volutes de fumée de cigarette.

Injuste

Sans véritable surprise, la discussion se porte rapidement sur la fermeture des restaurants. Pas d’ouverture prévue avant le 22 mars, si tout va bien. Tous s’accordent à dire que ce régime est profondément injuste. «Dans une seule rame du tram 12, il y a plus de personnes que durant toute une journée dans mon bistrot», grommelle le patron. Avant de poursuivre: «J’ai l’impression que les autorités sont complètement à côté de la plaque.»

L’apéro de bienvenue terminé, il est temps de passer à table. Toutes sont éclairées à la bougie. Les convives prennent place, dans une arrière-salle protégée de l’extérieur, les uns à côté des autres, sans aucune séparation ni geste barrière. Le menu occupe toutes les attentions.

En amuse-bouche: bouillon de bœuf aux fines herbes, suivi d’un foie gras aux figues et au poivre de Kampot. En plat de résistance: mijoté de bœuf aux carottes et purée. Un moelleux au chocolat pour le dessert. Le tout accompagné d’excellents crus genevois. Le repas est animé.

Prix variables et 20 personnes au maximum

Une fois les cafés avalés, le patron réinstalle tout ce petit monde repu dans une sorte de cellier. Il précise: «Maintenant, vous pouvez faire tout le bruit que vous voulez.»

Le niveau sonore monte aussitôt. Et s’intensifie au fur et à mesure que s’empilent les verres de rhum. Au rythme de quelques vieux tubes de disco, ça se trémousse avec insouciance dans un espace confiné.

Je profite de cette ambiance plus intime pour parler argent. A combien se monte la participation à ces soirées clandestines? «Il n’y a pas de prix fixe. Les coûts varient entre 150 et 200 francs par personne», répond le restaurateur. A-t-il conscience des risques encourus en cas de contrôle? «Oui, mais je n’ai pas vraiment le choix. Malheureusement, j’ai dû emprunter plus de 70’000 francs pour payer mes frais, mon personnel et me sortir un petit salaire. Sans activité ni aide, je suis bon pour l’Hospice général.»

Autre interrogation: ces soirées sont-elles fréquentes et fréquentées? «Cela dépend des semaines, ça varie au gré de la demande. Tout le monde s’adapte en attendant des jours meilleurs. Pour ma part, il m’est arrivé d’avoir jusqu’à 20 participants, mais c’est un maximum.»

Secret bien gardé

Il est près de 4 heures du matin lorsque les convives repartent par petits groupes. Pour eux, tout s’est bien passé. Le secret a été bien gardé. Personne n’a mis les pieds dans le plat.

Avant de se perdre dans les rues, tous se promettent de remettre ça… le plus vite possible.