«On n’est pas dans un cercueil mais dans un berceau!»

La fermeture des frontières durant la crise sanitaire et les couacs du Léman Express ont porté un coup dur au Grand Genève. Sera-t-il fatal? Les réponses du binôme aux commandes du projet transfrontalier, Christian Dupessey, nommé à la tête du Genevois français, et le président du Conseil d’Etat, Antonio Hodgers.

  • Christian Dupessey et Antonio Hodgers dans la gare des Eaux-Vives du Léman Express,  symbole du Grand Genève. STéPHANE CHOLLET

    Christian Dupessey et Antonio Hodgers dans la gare des Eaux-Vives du Léman Express, symbole du Grand Genève. STÉPHANE CHOLLET

«Le Grand Genève n’est pas qu’un bassin de consommation mais bien un bassin de vie»

Antonio Hodgers, président du Conseil d’Etat

C’est à la gare des Eaux-Vives que le rendez-vous a lieu. Avec la Nouvelle Comédie en arrière-plan, les deux élus, Christian Dupessey, nouvellement nommé à la tête du Genevois français (qui réunit les voisins de la Haute-Savoie et de l’Ain entourant le canton) et le président du Conseil d’Etat, Antonio Hodgers, posent tout sourire dans ce nouveau quartier fourmillant de symboles du Grand Genève. Une région franco-genevoise qui a subi de plein fouet les effets de la crise sanitaire. Entre la fermeture de la frontière et les déboires du Léman Express, ces derniers mois ont-ils tué le Grand Genève? Interview transfrontalière.

GHI: En décembre 2019, vous fêtiez la naissance du réseau ferroviaire Léman Express. Quelques mois plus tard, avec la crise sanitaire, c’est plutôt l’enterrement du Grand Genève qui se prépare…
Christian Dupessey: Absolument pas! Je crois même, au contraire, que dans des circonstances très compliquées, le Grand Genève prouve l’importance de son existence. On n’est pas dans un cercueil mais dans un berceau! Ainsi, le Léman Express, une infrastructure de 2 milliards de francs, qui démarre dans des circonstances extrêmement difficiles atteint malgré tout 70% de taux d’occupation. 
Antonio Hodgers: Toutes les difficultés rencontrées nous ont justement montré que lorsque l’agglomération ne marche pas, on ne se sent pas bien. Ça nous a fait mal! Je ne compte plus le nombre de témoignages de Genevois qui regrettaient de ne pas pouvoir aller marcher au Salève ou rendre visite à leurs parents en France voisine. Cela démontre que nous ne sommes pas qu’un bassin de consommation mais bien un bassin de vie!

– Pourtant la fermeture des frontières par Berne et Paris a créé une vraie coupure, que vous n’avez pas réussi à éviter…
Antonio Hodgers:
C’est justement pour ne pas revivre ce traumatisme que nous sommes montés au front ensemble ces dernières semaines. Personne ne voulait revivre une fermeture. Aucun parti.
Christian Dupessey:
Et c’est aussi pour cela que nous voulons, en tant qu’autorités locales, être a minima consultées. Entre nous, la communication s’est encore renforcée. On a même créé un groupe WhatsApp de quelques élus pour être encore plus efficace. Que ce soit clair, il est normal que les règles de santé publique et de contrôle des frontières soient nationales, mais, les déclinaisons sur le terrain doivent être entre les mains de ceux qui connaissent ce terrain.
Antonio Hodgers:
C’est l’exemple de la voie verte! Pendant le confinement, on pouvait facilement venir en voiture à Genève mais pas à vélo! A l’encontre de nos politiques publiques… Il a fallu qu’on aille à Berne se faire entendre. Et ça a payé.

– Cela a tellement bien marché que les départements voisins ne sont pas sur liste rouge malgré le taux de circulation du virus, notamment dans l’Ain. La logique économique prime-t-elle sur la santé?
Antonio Hodgers:
Pas du tout. Il y a une incompréhension majeure sur ce point. Même si toute la région avait été sur liste rouge, les frontaliers auraient pu venir travailler. Comme pendant le confinement. Là, ce qu’on a obtenu, c’est que tout le monde puisse continuer à traverser, y compris les Suisses qui vont sur France. Quel que soit le motif.
Christian Dupessey:
L’exemple le plus flagrant, c’est celui de la garde alternée avec un parent de chaque côté de la frontière. Ces derniers s’échangeaient leur enfant par-dessus les barrières douanières. Hors de question que l’on vive à nouveau de telles situations.

– Le Grand Genève, ce sont aussi des projets qu’il faut financer. Or, l’argent va manquer, obligeant chacun à investir sur son territoire et non par-delà la frontière. Etes-vous inquiets?
Christian Dupessey:
Le risque de repli existe. A nous d’être solidaires. Ma principale inquiétude, c’est le chômage. Pôle emploi, à Thoiry, dans le Pays de Gex, enregistre une hausse de 20% du nombre de chômeurs. Principalement des frontaliers. On doit trouver ensemble les moyens de relancer l’économie.

– Investir dans le transfrontalier, c’est possible vu le projet de budget 2021 de l’Etat de Genève?
Antonio Hodgers: On a adopté une posture anticyclique. C’est à travers les investissements qu’on relancera l’économie. On doit investir dans des infrastructures de durabilité et ce à l’échelle de la région. Continuer les voies vertes, prolonger les lignes de tram, c’est l’objectif. On a aussi tenu compte des critiques de Berne et avec Serge Dal Busco (ndlr: conseiller d’Etat chargé des Infrastructures), on a fixé des délais pour réaliser les projets déjà agendés (dans les projets d’agglomération 1 et 2). Pour ne pas perdre les subventions fédérales, on doit avoir réalisé tous ces ouvrages d’ici à 2025.

Initiative sur l’immigration: «Un oui perturberait tout le modèle genevois»

Autre événement à venir qui pourrait avoir des incidences sur le Grand Genève: la votation du 27 septembre, «pour une immigration modérée». Que signifierait un oui pour la région?

Christian Dupessey: C’est au peuple suisse de décider. Mais il est certain que tout frein à la libre circulation des personnes est un frein à la liberté des gens de se domicilier ou encore de travailler où ils le souhaitent.

Antonio Hodgers: En cas de oui, je ne m’en fais pas trop pour le Grand Genève. C’est pour Genève tout court que cela serait catastrophique! Le canton compte 390’000 emplois. Et 240’000 actifs, dont la moitié sont étrangers. L’économie genevoise est maintenue à deux tiers par des personnes qui n’ont pas le passeport suisse. Si le oui l’emporte, c’est tout le modèle genevois qui pourrait être perturbé.