Secret médical en prison: coup de scalpel sur le projet de loi

JUSTICE-SANTÉ • Afin de calmer les esprits, le conseiller d’Etat Mauro Poggia amende son texte. Peine perdue rétorque le député-médecin Bertrand Buchs.

  • Le conflit autour de la levée  du secret médical en milieu carcéral est loin d’être réglé. ISTOCK

    Le conflit autour de la levée du secret médical en milieu carcéral est loin d’être réglé. ISTOCK

Afin d’éviter que son projet de loi sur la levée du secret médical pour les criminels dangereux ne soit tué dans l’œuf, le conseiller d’Etat Mauro Poggia, en charge de la Santé, a décidé d’apporter un amendement majeur à son texte. «Je propose qu’un expert soit nommé systématiquement et serve d’interface entre l’autorité sécuritaire et le médecin. Thérapeutes et équipes sécuritaires lui devront une totale transparence, précise-t-il. In fine, seul cet expert sera en mesure de décider quels éléments devront être apportés en vue d’évaluer la dangerosité d’un détenu», préconise Mauro Poggia. Qui conclut: «Avec cette mesure, il n’y aura plus de lien direct entre thérapeutes et autorités sécuritaires. Et le secret médical ne sera pas mis en danger. Au fond, tous doivent avoir le même objectif, protéger la société et soigner le condamné en vue de réussir sa réinsertion.»

Société en danger

Pas certain que cette volonté de débloquer la situation atteigne sa cible. «Cet amendement n’a pas de sens car c’est déjà la pratique actuelle», lâche Bertrand Buchs, chef de groupe PDC au Grand Conseil et médecin. Qui poursuit: «M. Poggia continue à confondre médecin traitant et expert. Aujourd’hui, le secret médical peut déjà être levé si le médecin juge que la société est mise en danger. Et aucun juge ne laissera sortir un condamné dangereux sans l’avis d’un expert. Cela revient à dire que Mauro Poggia n’a pas besoin de déposer son projet de loi.» Soucieux de rapprocher les positions, Bertrand Buchs propose au Conseil d’Etat de geler son projet pendant un an. «Le temps nécessaire au médecin chef de la prison-hôpital Curabilis de définir des critères très précis de dangerosité d’un criminel. Tout le monde en sortirait gagnant», conclut Bertrand Buchs.

On le voit, le conflit autour de la levée du secret médical en milieu carcéral – sérieusement remis en question après le meurtre d’Adeline en septembre 2013 –, est loin d’être réglé. Les débats risquent d’être enflammés au parlement, et cela quels que soient les aménagements apportés par le ministre de la Santé.

Embarras du pouvoir judiciaire

GiM • Pour l’heure, le projet de loi déposé par le Conseil d’Etat en mars est soumis à plusieurs commissions du Grand Conseil. Toutes organisent les auditions conjointement. De source sûre, on apprend que le procureur général Olivier Jornot critique le projet. Interrogé à ce propos, lui et ses services se refusent à tout commentaire. «Les propos tenus en commission étant soumis au secret, le procureur général garde, comme il se doit, l’entier de ses analyses pour les membres des commissions», se borne-t-on à répondre du côté du pouvoir judiciaire. Affaire à suivre attentivement puisque la position du troisième pouvoir est cardinale dans ce dossier controversé sur la levée du secret médical pour les criminels dangereux.