«Si elles n'étaient pas intervenues, je ne serais pas là pour témoigner»

Devant le tribunal correctionnel de Thonon, les cinq femmes agressées le 8 août 2018 à la sortie du Petit Palace sont venues témoigner de cette nuit d'horreur. Face à elles, cinq prévenus comparaissent pour «violences aggravées».

  • Le procès se tient devant le tribunal correctionnel de Thonon mardi 19 et mercredi 20 mai. MP

Elles sont masquées mais ça ne suffit pas à cacher leur peine. Sur les bancs des parties civiles, à bonne distance les unes des autres en raison de la crise sanitaire, les cinq femmes victimes de l'agression du 8 août 2018, place des Trois-Perdrix à Genève, partagent une souffrance encore tangible plus d'un an et demi après les faits. 

Face à elles, se tiennent les cinq prévenus. Ils comparaissent en ce mardi 19 mai devant le tribunal correctionnel de Thonon (Haute-Savoie) pour «violences aggravées». Malgré leurs masques, c'est la jeunesse de leurs traits que l'on remarque. Ils ont entre 22 et 25 ans et encourent des peines allant de 7 à 20 ans d'emprisonnement. Vingt ans pour les deux qui sont en état de récidive légale, ayant pour l'un douze condamnations dans son casier, pour l'autre treize. 

«La femme n'a pas à être frappée»

Ce qui frappe aussi, c'est le contraste entre les témoignages des victimes pendant l'après-midi et les déclarations des prévenus durant la matinée. «La femme n'a pas à être frappée», affirme le premier des agresseurs présumés, en début d'audience. Le deuxième dit avoir «peu de souvenirs» de la soirée mais est sûr de ne pas avoir pu faire ce qu'on lui reproche car il «ne tape pas les femmes». 

Seul le dernier prévenu entendu, porteur de béquilles ce soir-là, tient un propos qui détonne. Il affirme que les cinq amis, réunis dans un bar le lendemain, se sont mis d'accord sur une version des faits. «Pour moi, tout le monde se souvient très bien! Tout le monde doit assumer ce qu'il a fait!» 

A l'approche de la pause de midi, c'est la juge qui résume le mieux la situation: «On l'aura compris, aucun d'entre eux ne reconnaît avoir porté des coups.» 

«Si c'était à refaire, je n'hésiterais pas une seule seconde»

Il est 14h quand l'audience reprend. Cette fois, en présence des cinq victimes. La première d'entre elles, défendue par Me Saskia Ditisheim, visiblement très traumatisée, peine à pénétrer dans la salle. Cette mère célibataire de quatre enfants sortait rarement en boîte. 

Quand elle quitte le Petit Palace, alcoolisée, vers 5h du matin, elle emprunte l'escalier. Un homme «de type africain» la traite de «grosse». Elle réplique en lui demandant pourquoi il l'insulte. Il lui assène un coup de poing au visage, la faisant chuter dans l'escalier. Alerté par ses cris, un quatuor féminin assiste à la scène. «On a vu sa tête rebondir sur les marches», raconte l'une des quatre amies. Elle demande: «Qu'est-ce qu'on fait?» La réponse ne venant pas, elle se lance au secours de cette inconnue. Ses trois collègues suivent. 

«Je me sens coupable parce que j'y suis allée en premier», poursuit-elle la gorge nouée. Un sentiment de culpabilité qui ronge aussi la première victime. «Si je n'étais pas sortie en boîte ce soir là… Et en même temps, si elles n'étaient pas intervenues, je ne serais pas là pour témoigner. Je voudrais justement les remercier. Je leur dois la vie», lâche-t-elle en larmes. 

En écho, la victime ayant payé le plus lourd tribut, celle que les coups, dignes d'une «scène de guerre» selon un témoin, ont plongé dans le coma, assène: «Si c'était à refaire, pour sauver une amie, je n'hésiterais pas une seule seconde.» Toutes ont vu leur vie basculer ce jour là. Toutes décrivent la peur qui ne les lâche plus. «Je veux savoir pourquoi? Pourquoi ils ont fait ça?» interroge en sanglotant l'une des jeunes femmes. 

Le procès se poursuit demain mercredi notamment avec les plaidoiries. Le tribunal devrait rendre sa décision dans la soirée.