«Belle-Idée a battu tous les records l’été dernier avec une cinquantaine de patients en trop»
Corinne Béguelin, chargée de la santé au Syndicat SSP
«J’ai vécu une nuit de cauchemar. On m’a garée dans un lit au beau milieu d’un couloir face aux toilettes à Belle-Idée, confie bouleversée, Tina*. J’étais livrée à moi-même sous les néons et une alarme qui bipait toutes les dix secondes.» Cette trentenaire s’était rendue aux urgences psychiatriques de Chêne-Bourg alors qu’elle vivait un épisode dépressif accompagné d’insomnies. Au lieu de trouver du réconfort, elle a vécu un calvaire. Et son cas n’est pas isolé. En cause, une surpopulation chronique mais aussi des unités dans lesquelles sont mélangées toutes sortes de patients dont certains sont potentiellement violents. Résultat: les couloirs s’encombrent de lits et certains bureaux administratifs sont réaménagés en chambres de soins.
Unités saturées
Face à cet afflux croissant de patients, au manque de locaux adéquats et aux sous-effectifs, le personnel soignant accuse le coup. «Les employés subissent une forte pression, souligne Corinne Béguelin, en charge de la santé au Syndicat des services publics (SSP). Les conditions de travail sont précaires depuis longtemps mais la situation ne change pas.» Pas plus que les problèmes de surpopulation qui ont atteint un pic l’été dernier. «Belle-Idée a battu tous les records avec une cinquantaine de patients en surplus de la capacité normale pour l’ensemble des unités de psychiatrie, s’indigne Corinne Béguelin. De plus, si les 4 unités d’admission étaient entre plus 5 et plus 8 patients, autrefois cela déclenchait un plan d’urgence. Et depuis des mois et des mois on est au-delà.»
«La clinique est effectivement en suroccupation chronique, confirme le professeur Giannakopoulos, chef de service de psychiatrie générale aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG). En tout, elle compte 280 lits mais il y a actuellement une trentaine de lits supplémentaires.» Conséquence désastreuse, certains patients, se retrouvent dans des unités inadaptées. Et cela au moment même où ces malades sont le plus vulnérables.
Mélange de patients
Effet collatéral inquiétant, des patients potentiellement violents et qui nécessitent des soins particuliers se retrouvent dans des unités d’accueil. «Depuis quelque temps, le nombre de placements judiciaires pénaux a augmenté de façon considérable, détaille le professeur Giannakopoulos. Aujourd’hui, on en compte 35. Or, les unités qui leur sont destinées ne suffisent pas et certains sont répartis dans des unités d’admission qui accueillent des patients pour des courts séjours.»
Alternatives inexistantes
Deux facteurs principaux expliquent en partie cette situation à risque. Tout d’abord, le retard dans l’ouverture de la prison Curabilis (lire ci-contre) destinée aux détenus souffrant de troubles psychiques. Celle-ci a été repoussée à début 2016 et l’établissement compte 92 places. Ensuite, l’absence critique de structures intermédiaires pour les longs séjours. En effet, à Belle-Idée il n’y a pas plus d’admissions qu’il y a 5 ans. En revanche, de nombreuses places sont occupées par des personnes ayant des pathologies chroniques qui ne nécessitent plus de soins aigus. «Il faudrait créer des structures dans la communauté destinées à ces patients. Mais pour cela, il doit y avoir une volonté politique», explique le professeur Giannakopoulos. Au SSP on ne cache pas son inquiétude. «On est à fond sur ce dossier mais on craint qu’il faille un drame pour que les choses bougent vraiment», alerte Corinne Béguelin.
*Prénom fictif