Bistrots: des plats qui sentent le réchauffé

- Notre enquête dans les poubelles de certains restaurants est édifiante.
- Par mesure d’économie, de nombreux établissements ont recours à des plats industriels.
- Pendant ce temps, le label «Fait maison» n’a toujours pas été lancé, faute de subventions.

  • De la barquette à l’assiette, ou comment faire des économies de personnel THINKSTOCK

    De la barquette à l’assiette, ou comment faire des économies de personnel THINKSTOCK

«J’ai recours à des plats déjà faits, car cela me fait économiser du personnel»

Paul*, restaurateur

Il est 23 heures, fouille minutieuse de poubelles de restaurants situés aux abords de la plaine de Plainpalais. Le constat est sans appel. Les emballages de plats industriels, aussi appelés convenience food, constellent les ordures. Et la liste est longue: lasagnes, paella, pâtes, légumes surgelés, fruits de mer, viandes et même pizzas, font notamment partie de notre récolte.

Une pratique légale

Le problème, c’est que ces plats sont bourrés d’additifs et, la plupart du temps, les consommateurs ignorent tout de cette pratique. Ils croient manger des produits frais et se retrouvent grugés par des pratiques douteuses. Ceci, en toute légalité. Comme nous le confirme un restaurateur croisé ce soir-là. «Je n’ai pas vraiment le choix, raconte Paul*. J’ai recours à ces plats déjà faits car cela me fait économiser du personnel, c’est la seule façon de faire tourner mon restaurant. Je dois aussi avouer que je n’ai pas de formation de cuisinier, j’ai donc appris sur le tard à assembler quelques produits précuits. Je ne le dis évidemment pas à mes clients s’ils me posent la question. Je n’en ai pas vraiment honte car j’ai le droit de le faire.»

Concurrence déloyale

Le fait maison devient-il une denrée rare? Difficile à évaluer. Ce qui est certain, c’est qu’au fil des années, les plats industriels ont envahi les restaurants. Toujours plus élaborée et bon marché, la convenience food séduit de plus en plus les patrons qui ont un équilibre financier précaire… et les autres. Ce qui irrite Mathieu Fleury, secrétaire général de la Fédération romande des consommateurs (FRC): «Nous devons combattre cette concurrence déloyale entre les réchauffeurs de barquette et les vrais restaurateurs! Le consommateur est trompé car il y a une sorte de confiance aveugle quand on va dans certains établissements, on ne soupçonne pas de telles pratiques. Mais c’est en train de changer.» En effet, dans ses achats privés comme quand il va manger dehors, le client moderne a tendance à être plus attentif dans ses choix. Cette nouvelle génération, mieux informée, opte pour des restaurants sincères dans leur cuisine.

Mickaël Demaeyer avec son food truck baptisé Le frais maison n’a pas hésité une seconde. «Jamais je ne pourrais servir des plats industriels, ce n’est pas du tout dans ma nature. Dans un camion, on n’a pas le choix, les clients voient tout ce que l’on fait en cuisine. Ceux qui optent pour des plats déjà préparés sont simplement des fainéants.» Des fainéants encore trop nombreux…

* nom connu de la rédaction

Le «fait maison» se fait attendre

FaBo • En septembre 2013, les associations suisses de consommateurs, GastroSuisse, La Semaine suisse du Goût et Slow Food Suisse, annonçaient le lancement d’un label «fait maison» sur l’ensemble du territoire au printemps 2014. Depuis, rien n’a été fait. Pourquoi? «Nous n’avons pas obtenu les subventions fédérales nécessaires aux contrôles et à la promotion de ce label, déplore Gilles Meystre, l’un des membres de la délégation de GastroSuisse. Mais d’ici 2016, nous allons enfin concrétiser ce projet qui doit permettre de mettre en avant ceux qui travaillent bien.» Une nouvelle qui ne réjouit pas plus que cela Didier Jacquet, patron de l’Auberge de Vandœuvres et, comme d’autres dans le canton, ardent défenseur du «fait maison»: «Je travaille mes produits frais depuis 36 ans et ce n’est pas un label qui va changer mon quotidien. Ce qui compte c’est que les contrôles soient réguliers. Si c’est le cas, je trouve la démarche intéressante.»