«Le pain s’est standardisé, tout comme les farines»
Jérôme Saugy, fondateur de Levain.ch
Depuis les années 1990, les boulangeries de quartier ont été victimes d’une véritable hémorragie. «C’est évident que le marché s’est terriblement tendu, déplore Eric Emery, patron de l’enseigne éponyme et président de la section genevoise de l’Association romande des artisans, boulangers, pâtissiers et confiseurs. A Genève, il ne reste qu’une cinquantaine de petites boulangeries indépendantes. Je reste cependant optimiste, je pense que ces derniers artisans ont encore un bel avenir.» Pour autant qu’ils optent pour des produits réalisés dans leur laboratoire, loin de toute tentation industrielle. Eric Emery ajoute: «Seuls 20% des produits vendus au sein des enseignes artisanales sont industriels. Ce qui est relativement acceptable car en France on atteint les 75%! Et souvent, le consommateur n’est même pas au courant.» Tout comme Sarah Stettler, pourtant responsable marketing au sein de l’Association suisse des patrons boulangers-confiseurs: «Nous n’avons pas connaissance de produits industriels chez les boulangeries-confiseries artisanales.»
Standardisation constatée
Il convient cependant de relativiser. Le recours aux produits déjà confectionnés concerne surtout des spécialités loin d’être genevoises. Comme les donuts, par exemple. Reste que de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer une uniformisation grandissante du goût: «Le pain s’est standardisé, tout comme les farines, regrette Jérôme Saugy, fondateur de Levain.ch. Dans le même temps, le client souhaite découvrir de nouvelles saveurs, ce qui est uniquement possible en travaillant de manière artisanale.» Un constat partagé par Frédéric Bouvard, gérant de la Boulangerie des Grottes: «Les clients se rendent bien compte que l’industriel provoque de nombreuses maladies. Et la qualité n’est pas la même! Lorsque nous avons repris cet établissement avec mon cousin, il y a deux ans, nous avons constaté que le fait-main assurait une plus grande durée de vie au pain. Il sèche et s’effrite moins rapidement. Quant au goût, il n’y a pas de comparaison possible.» Et de rappeler: «Mais fabriquer de la boulange artisanalement prend plus de temps, nécessite un savoir-faire et davantage de main-d’œuvre.»
Eric Emery relativise: «En 2004, il y avait 30 moulins en Suisse romande. Aujourd’hui, il n’en reste plus que trois. Ce qui explique un choix plus restreint de farines donc cela nous amène évidemment à une forme de standardisation du goût.» Surtout quand on sait que chaque année 170’000 tonnes de produits industriels sont importés en Suisse. Faut-il craindre de prochaines fermetures de boulangeries à Genève? Certainement, mais pour tenter de survivre et augmenter leur marge, les artisans doivent absolument miser sur la qualité et la proximité. C’est le pari gagnant de Jérôme Saugy. L’an dernier, il a lancé son site Levain.ch. Et le succès est au rendez-vous: «En souscrivant à un abonnement mensuel, les Genevois reçoivent chaque semaine un pain différent directement chez eux. Ma philosophie est de ne travailler qu’avec des céréales bio dans un rayon de 100 kilomètres autour de Genève. Tout est pétri à la main et fabriqué au levain naturel. Je livre ensuite les produits en vélo-cargo dans tout le canton.» Après des années difficiles, le renouveau de la boulangerie est donc en marche.