Bourreaux libérés: le danger d'informer les victimes

- Une initiative parlementaire propose que les victimes d'agressions sexuelles soient informées de la date de sortie de prison des condamnés.
- Pour ou contre? Deux ténors du barreau débattent de cette mesure controversée.
- Le procureur général Olivier Jornot, estime cette réforme dangereuse pour la réinsertion. Pierre Maudet, chef de la Sécurité pense au contraire que les besoins des victimes doivent primer.

  • Me Robert Assaël et Me Christian Lüscher.

    Me Robert Assaël et Me Christian Lüscher.

  • Angela avait bénéficié d'une carte de protection avant d'être agressée sexuellement. Aujourd'hui, elle fait partie des victimes souhaitant connaître le sort de son bourreau une fois libéré.

    Angela avait bénéficié d'une carte de protection avant d'être agressée sexuellement. Aujourd'hui, elle fait partie des victimes souhaitant connaître le sort de son bourreau une fois libéré.

Angela a été violée à Lancy. Son bourreau a écopé d'une peine de 3 ans et demi de prison. Pour cette Genevoise de 50 ans, il est primordial de connaître la date de sortie de prison de son agresseur. «Je tremble à l'idée de le recroiser près de chez moi, je crains une vengeance…Pourquoi la justice refuse-t-elle de me communiquer sortie de prison? Je ne sais d'ailleurs même pas où il a exécuté sa peine et s'il a été soigné…»

Initiative parlementaire

Pour l'heure, le Code pénal ne prévoit pas de répondre aux interrogations d'Angela. Ni à celles des autres victimes qui craignent pour leur sécurité après la sortie de prison de leur bourreau. Mais une initiative parlementaire fédérale, lancée par la conseillère nationale socialiste bâloise Susanne Leutenegger Oberholzer, risque bien de bouleverser la donne l'automne prochain (lire ci-contre). Le Parlement fédéral doit en effet statuer en septembre sur l'opportunité, ou non, d'informer les victimes d'atteintes aux intégrités physiques psychiques ou sexuelles.Deux ténors du barreau genevois confrontent leur point de vue diamétralement opposé sur cette initiative à double tranchant.

«C'est une fausse bonne idée»

Me Robert Assaël, avocat, président de la Commission de droit pénal:Ce projet va à l'encontre des intérêts de la victime elle-même, qui a droit à l'oubli pour pouvoir continuer à vivre dans les meilleures conditions possibles. Le maintien d'un lien avec le détenu peut être anxiogène et raviver l'agression subie. Cette problématique est d'autant plus marquée en cas de longue peine, puisque la victime, si on la retrouve, pourrait être remise face au drame vécu de nombreuses années après celui-ci. Cette réforme est essentiellement fondée sur la menace qui planerait sur la victime et qui perdurerait au cours de l'exécution de la sanction. Dans les quelques cantons qui connaissent déjà ce droit à l'information de la victime, comme par exemple les Grisons, seules trois personnes en ont usé! Cela démontre bien que les victimes ne ressentent pas de réel besoin. Il est donc inutile de légiférer au niveau fédéral.

Resocialistion

Par ailleurs, cette réforme va à l'encontre de la nécessité de resocialiser le condamné pour éviter la récidive. La victime, insatisfaite de la sanction pénale, pourrait attendre qu'il retrouve un travail pour le lui faire perdre, en prenant contact avec l'employeur, en diffusant des tracts ou en médiatisant. Ainsi, le maintien d'un lien auteur-victime ne répond pas à l'objectif sécuritaire que cette nouvelle disposition pénale entend pourtant viser.

«La victime doit savoir ce que devient le prévenu»

Me Christian Lüscher, avocat et conseiller national PLR:L'idée de ce texte est de rétablir une logique sur le droit aux victimes. A mon avis, cette initiative est importante pour les victimes, qui pour l'heure n'ont un droit aux informations que jusqu'à la sanction. Du moment que l'on admet que la victime et la famille peuvent participer à la procédure, il me semble logique qu'elles soient aussi informées, une fois la peine purgée, de ce que va devenir le prévenu. Soit quel est son plan de resocialisation, quelle est la thérapie suivie, ceci bien entendu pour pallier à un éventuel risque de récidive.

Pédophilie

Je pense ici principalement aux affaires de pédophilie avec récidive. Les victimes sont en droit de savoir si le prévenu en liberté a été soigné et s'il ne risque pas de recommencer.Les opposants pensent qu'informer les victimes peut occasionner plus de travail à la justice. Selon eux, elle aurait plus de travail car elle devrait retrouver des victimes, notamment celles qui ont changé d'adresse, voire de pays. Mais c'est un leurre. Car l'initiative parlementaire prévoit la diffusion des informations uniquement aux victimes qui le souhaitent. Or, il s'avère que de telles demandes sont rares. Nous n'avons d'ailleurs pas, à notre connaissance, de dérapages ou de multiplications de demandes dans les cantons alémaniques qui pratiquent déjà le droit à l'information aux victimes.