Condamné sans preuve suite à un témoignage

- Dénoncé anonymement, un automobiliste genevois a été sommé de s’expliquer dans le canton de Soleure.
- Sans preuve matérielle, la justice lui a notifié une ordonnance pénale de 720 francs.
- Pour les Avocats de la route, un témoignage anonyme seul ne devrait pas suffire à condamner.

  • Un témoignage fait-il office de preuve? La question n’est pas tranchée. DR

    Un témoignage fait-il office de preuve? La question n’est pas tranchée. DR

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    Un témoignage fait-il office de preuve? La question n’est pas tranchée. DR

«Cette affaire est hallucinante. Si j’avais été le procureur, j’aurais classé le cas.»

Guillaume Etier, membre du réseau des Avocats de la route.

Paul* a un rituel. Chaque année, il se rend à Baselworld, le Salon mondial de l’horlogerie et de la bijouterie. Au mois de mars de l’année dernière, il ne change pas ses habitudes et emprunte l’autoroute en direction de Bâle. Six mois plus tard, alors qu’il rentre de vacances, il reçoit un courrier recommandé émanant de la police cantonale soleuroise. «J’ai d’abord été surpris car je ne me rends quasiment jamais en Suisse allemande. Quand j’ai vérifié mon agenda, j’ai cependant remarqué que la date correspondait à Baselworld. Le courrier, entièrement en allemand, m’ordonnait de me rendre le 26 septembre au poste de police d’Oensingen (SO). J’ai appelé l’officier de police pour savoir ce que l’on me reprochait, mais il ne parlait pas français. J’ai juste compris que si je ne me rendais pas au rendez-vous, les forces de l’ordre viendraient me chercher manu militari à mon domicile!»

Affaire rocambolesque

Pour éviter de compliquer son cas et sans le sentiment d’avoir quelque chose à se reprocher, Paul se rend à la convocation. Sur place, l’officier de police est assisté d’une traductrice afin de faciliter le dialogue. S’il comprend tout ce qu’on lui dit, l’automobiliste n’en reste pas moins bouche bée. «On me reprochait d’avoir roulé à 120 au lieu de 80 km/h sur une bretelle autoroutière, de m’être rabattu en faisant une queue de poisson et d’avoir mangé une zone hachurée signalant la fin d’une voie! Je roule plus de 30’000 kilomètres par année pour mon travail, je ne me comporte jamais ainsi!»

La police cantonale soleuroise lui indique également que le procureur a agi sur simple dénonciation visuelle d’un autre automobiliste qui a relevé le numéro de plaques de Paul et déposé plainte. Malgré le refus d’avouer une faute qu’il estime n’avoir pas commise, l’automobiliste reçoit par la poste la décision pénale.

«J’ai dû payer 720 francs et le Service des automobiles et de la navigation m’a condamné à un avertissement. Si je fais la moindre erreur ces prochains mois, c’est le retrait de permis immédiat! Cela ouvre la porte à toutes les formes de délation, si je n’aime pas mon voisin, je n’ai qu’à dire qu’il m’a dépassé par la droite sur l’autoroute de Saint-Gall et ce dernier devra s’y rendre et s’expliquer!»

Risque de délation

Un sentiment partagé par Guillaume Etier, membre du réseau des Avocats de la route: «Cette affaire est totalement hallucinante. La preuve judiciaire peut être le résultat de plusieurs éléments, dont le témoignage. Mais il ne saurait à lui seul fonder une culpabilité, sans autre élément probant, au risque de rapidement tomber dans la délation, voire des vengeances personnelles, ce qui constitue tout ce que je déteste. Si j’avais été le procureur, j’aurais classé l’affaire.»

L’aspect exceptionnel de ce cas est aussi confirmé par Silvain Guillaume-Gentil, porte-parole de la police cantonale genevoise: «Les gens appellent souvent le 117 pour signaler des comportements dangereux sur la route, mais il est très rare qu’ils fassent le pas de la dénonciation».

Reste que cette affaire révèle qu’un simple témoignage peut faire condamner un automobiliste. Elle démontre aussi les dérives potentielles d’une législation qui se base sur un simple constat visuel. «Il peut y avoir un potentiel d’abus, déplore Lionel Eicher, juriste au Touring Club Suisse. C’est pourquoi nous n’approuvons pas ce type de comportement. Au TCS, nous considérons que la sécurité routière est l’affaire de la police et non des particuliers. De plus, normalement, le doute doit profiter à l’accusé.»

Il faut aussi rappeler qu’une fausse dénonciation est punissable pénalement, il convient donc de bien réfléchir avant de se rendre au poste de police…

* nom connu de la rédaction

Vers qui se tourner?

FaBo • En cas de dénonciation par un autre automobiliste, il existe différentes possibilités pour se défendre. La première, mais aussi la plus coûteuse, consiste à s’attacher les services d’un avocat dans le canton où l’accusation a lieu. Pour un simple conseil, le réseau des Avocats de la Route* est une excellente alternative. Pour se prémunir d’importants frais judiciaires, il est également possible de souscrire une assurance protection juridique circulation auprès des différentes compagnies établies en Suisse romande.

* www.avocats-route.ch