Cybercriminalité: «Il faut durcir la traque»

- Pierre Maudet, ministre de la Sécurité à Genève, monte aux barricades: le risque est partout.
- Son combat? Défendre les investigations secrètes et l’usage des chevaux de Troie.
- Des stratégies qui permettent de lutter à armes égales avec les criminels.

  • Infiltrer les ordinateurs, surveiller les e-mails… ISTOCK/OJOIMAGE

    Infiltrer les ordinateurs, surveiller les e-mails… ISTOCK/OJOIMAGE

  • Infiltrer les ordinateurs, surveiller les e-mails… ISTOCK/OJOIMAGE

    Infiltrer les ordinateurs, surveiller les e-mails… ISTOCK/OJOIMAGE

«On se bat contre des menaces d’une ampleur exceptionnelle avec des moyens dérisoires»

Pierre Maudet, conseiller d’Etat en charge de la Sécurité

«L’agresseur n’a jamais été aussi proche, le juge n’a jamais été aussi loin.» Avec le sens de la formule qu’on lui connaît, Pierre Maudet, conseiller d’Etat en charge de la Sécurité, lance un cri d’alarme tout en brandissant son smartphone. «L’agresseur est dans votre poche tandis qu’il sévit à l’autre bout du monde et qu’il faudra des années de procédures pour en venir à bout.» Pour le ministre de la Sécurité, dans un monde toujours plus interconnecté et où une majorité de citoyens, enfants et ados inclus, possède un portable ou un ordinateur, le risque est partout. Autrement dit, aussi bien dans la sphère publique que privée. «Il est temps de se réveiller et de se rendre compte que l’on se bat contre des menaces d’une ampleur exceptionnelle avec des moyens dérisoires», dénonce-t-il.

Années-lumière de retard

Concrètement, quels dangers le magistrat cible-t-il en priorité? «La pédocriminalité, la cybercriminalité, celle-ci a un énorme potentiel de destruction de l’Etat, mais aussi l’espionnage économique et, plus largement, toute agression contre des biens ou des personnes par le Web, pointe-t-il. Aujourd’hui, il nous faut traquer les criminels partout où ils sévissent. Pour cela, les forces de l’ordre doivent pouvoir, dans des cas bien précis, infiltrer les ordinateurs, surveiller les e-mails, introduire des logiciels espions dans les smartphones. Si nécessaire, et avec proportionnalité, les services secrets doivent également avoir la possibilité de recourir à des chevaux de Troie. Espérons que la révision de la loi sur la surveillance des communications (LSCPT), en cours de traitement au Parlement (lire ci-contre), permettra de donner enfin aux autorités la base légale pour faire correctement leur job et sanctionner plus sévèrement, par exemple, les usurpations d’identité.»

Guerre hautement stratégique

Mais infiltrer efficacement les ordinateurs des criminels n’est pas qu’une question de modification du droit pénal suisse, c’est aussi une question de moyens opérationnels. Et là, visiblement le bât blesse. «La proposition du conseiller fédéral Ueli Maurer d’amputer d’un tiers les effectifs du Service de renseignement militaire – ils passeraient de 60 à 40 collaborateurs –, si elle se confirme, montre une absence de priorisation des risques et une cécité face aux dangers», souligne notamment Pierre Maudet.

Ridicule

«Pour ne pas avoir des années-lumière de retard sur les criminels, la collecte de renseignements est capitale. Or, le Service de coordination de la lutte contre la criminalité sur Internet (SCOCI), seul organisme de ce type en Suisse, ne compte que dix collaborateurs en tout et pour tout. C’est ridicule, dénonce-t-il. Conséquence de ces ressources totalement insuffisantes, le SCOCI, qui devrait être la tour de contrôle pour toute la cybercriminalité, s’occupe, faute de moyens, de la seule pédocriminalité. C’est bien entendu indispensable mais insuffisant», regrette le magistrat.

Il y a urgence!

Mêmes lacunes dénoncées du côté du Ministère public de la Confédération. «Sur 150 enquêtes en cours ayant trait à la cybercriminalité, deux seulement sont instruites à fond. C’est inacceptable!», appuie Pierre Maudet. Nous ne pouvons plus aborder les questions de stratégie de sécurité au coup par coup, au gré des votations fédérales et avec un rythme totalement déconnecté de la vitesse à laquelle la criminalité évolue. Il y a urgence!»

Ecoutes téléphoniques hors de prix

GiM • Le lobby des opérateurs de téléphonie a également le don d’exaspérer le magistrat Pierre Maudet. «Les écoutes téléphoniques en Suisse coûtent beaucoup plus cher qu’en France, regrette-t-il. Avant de préciser: Une écoute en direct coûte environ 2400 francs, dont près de 1300 sont versés à l’opérateur. Pour obtenir le listing des appels entrants et sortants, ainsi que la liste des messages envoyés et reçus sur une période de six mois, la facture se monte à près de 700 francs. Dont 540 sont versés à l’opérateur. Ce coût est une entrave à l’action de la police et sans aucun rapport avec la contreprestation des opérateurs téléphoniques. Dans le cas des contrôles rétroactifs, ceux-ci fournissent une liste dont l’établissement résulte d’une simple opération informatique. En ce qui concerne l’écoute en direct, ils procèdent simplement au branchement d’une ligne à distance.»

Reste que cette plaisanterie bureaucratique coûte plusieurs centaines de milliers de francs chaque année à l’Etat de Genève. «C’est vite vu, le budget des écoutes téléphoniques est épuisé à la fin de l’été», regrette le ministre de la Sécurité.