Décès: terribles adieux

  • Les mesures liées à la pandémie déshumanisent la prise en charge du défunt et les obsèques.
  • L’interdiction de contact physique est particulièrement douloureuse pour les proches.
  • Les différentes religions font tout ce qu’elles peuvent pour respecter mesures de sécurité et rites. Notre dossier.

  • Au cimetière Saint-Georges. «Ce qui compte, c’est que les familles puissent déjà faire

    Au cimetière Saint-Georges. «Ce qui compte, c’est que les familles puissent déjà faire un chemin de qualité avec leur peine», souligne le pasteur Blaise Menu. STÉPHANE CHOLLET

«Les proches du défunt ne peuvent pas dire adieu. C’est d’une violence inouïe»

Sandra Widmer Joly, officiante laïque en funérailles

Denis, Pierrette, ou encore Marcel sont partis. Emportés par le Covid-19. Depuis le 11 mars, les avis de décès prolifèrent. A la douleur de la perte d’un être cher s’ajoutent les restrictions très contraignantes pour les proches. De la prise en charge du défunt aux obsèques, rien ne se passe comme d’habitude. Dans un courrier à ses partenaires, le service des pompes funèbres liste les nouvelles directives. «Les familles ont la possibilité de voir le visage des défunts une dernière fois. Tout contact physique est proscrit», prévoit la missive.

«Beaucoup voient leur proche partir en ambulance sur une civière. Et c’est la dernière fois. Ils ne peuvent pas dire adieu. C’est d’une violence inouïe», raconte Sandra Widmer Joly, officiante laïque en funérailles.

Comment accompagner au mieux ces proches en deuil? Les officiants, laïcs et religieux, s’interrogent. Une dérogation permet à 20 personnes d’être présentes lors d’une cérémonie funéraire.

«Aujourd’hui, le rituel devient secondaire, souligne le pasteur Blaise Menu. Ce qui compte, c’est que les familles puissent déjà faire un chemin de qualité avec leur peine.» Il est souvent proposé de procéder en deux temps: «D’abord en comité restreint, souvent autour de la tombe; puis, quand ce sera possible, on fera des cérémonies publiques.»

De quoi renouer, selon Blaise Menu, avec une ancienne pratique réformée genevoise en cours jusqu’au XIXe siècle. «A l’époque, le culte d’adieu était très sobre. Il se faisait en l’absence du corps et servait à exprimer la reconnaissance à Dieu pour la vie du défunt.»

D’intenses regards

Chez les catholiques aussi, il est proposé de reporter la cérémonie à plus tard. D’autant que plusieurs éléments du rite sont prohibés en ce moment. Par exemple, seul le prêtre bénit le cercueil, afin d’éviter que le goupillon ne passe de main en main. L’abbé Philippe Matthey a déjà officié à plusieurs reprises ces dernières semaines. Autour de la tombe, à l’église ou au centre funéraire, les distances sont respectées. «C’est un comble de devoir maintenir cet éloignement dans ces moments. Cela ajoute à la tristesse des familles. Je suis étonné de voir avec quelle sagesse elles prennent tout ça. Et puis, j’ai observé des regards d’une puissance qui dépasse ces gestes que l’on fait de façon un peu automatique.»

Plus de toilette mortuaire

L’officiante laïque Sandra Widmer Joly relève que «la cérémonie d’au revoir est en temps normal le premier pas vers le deuil». Elle prévoit aussi des «cérémonies du souvenir» collectives, là encore, quand cela sera possible.

Chez les musulmans, aucune célébration a posteriori n’est prévue. «Une prière est célébrée au cimetière en présence d’un nombre très restreint de proches, avec la distanciation obligatoire, explique Hafid Ouardiri de la fondation pour l’Entre-connaissance. Le Coran nous exhorte à ne pas nous exposer au danger et nous invite à la prière et à la patience en cas de pandémie ou de catastrophe.» Pour la même raison, les ablutions rituelles du corps sont abandonnées.

L’annulation de la toilette mortuaire est aussi prévue dans la religion juive. «Le principe étant que la vie est tellement importante qu’elle est au-dessus de tout», souligne Izhak Dayan, grand rabbin de la communauté israélite de Genève. Les cérémonies se font en plein air, à 20 maximum, incluant le rabbin et son adjoint. «On doit se contenir, renoncer aux embrassades, aux accolades», poursuit-il. Les prières pour l’élévation de l’âme, qui accompagnent chaque étape du deuil (les sept jours, les trente jours, etc.) se font, elles, via l’application Zoom. «Il en va de la protection de la vie», conclut le grand rabbin.

 

«Je ne pensais pas qu’il s’agissait du moment de l’au revoir»

Il y a les chiffres – plus de 120 décès dans le canton de Genève depuis le début de l’épidémie. Mais surtout, derrière chacun d’eux, il y a un parent, un frère, une amie. Pour Grégoire, il y a son père. Agé de 80 ans, ce dernier est décédé vendredi 3 avril, des suites du Covid-19. «Il était clairement une personne à risque, ayant notamment des antécédents de problèmes cardiaques, explique le fils endeuillé. Mon père est décédé dans sa chambre à l’EMS.»

A ce moment-là, les visites sont interdites depuis plus de deux semaines déjà. Le test positif remonte au 27 mars. Et les informations concernant l’état de santé de l’octogénaire parviennent au compte-gouttes à sa famille. «Le 2 avril, l’EMS a contacté son épouse, âgée de 76 ans, pour lui expliquer qu’elle devait passer le voir, son état s’étant sérieusement dégradé. Il est décédé le lendemain, en début d’après-midi. Tout est allé assez vite.»

De son côté, Grégoire a pu rendre une ultime visite à son père. La veille de sa mort. «Il était presque inconscient, gémissant, le teint très pâle, raconte-t-il. J’ai pu le voir dans sa chambre en m’équipant complètement (masque, lunettes, gants, charlotte, surblouse, tablier en plastique). A ce moment-là, je ne pensais pas qu’il s’agissait déjà du moment de l’au revoir.» Sa mère, elle, n’aura pas le temps de faire ses adieux à son mari. «Le lendemain, elle était en route, en voiture, quand elle a reçu un appel pour lui annoncer la funeste nouvelle.»

Aucun soutien psychologique

Comme d’autres qui témoignent, Grégoire explique la difficulté d’entamer son deuil dans les circonstances actuelles qui empêchent la tenue d’une véritable cérémonie et rendent impossible le fait de se réunir en famille, entre amis. «Ne pas pouvoir passer le temps nécessaire avec une maman qui a perdu l’homme de sa vie et sentir de la peur parfois auprès de connaissances», complète Grégoire. Il regrette le manque de soutien psychologique ou de mesures d’accompagnement des familles par l’EMS et les autorités. Le corps du défunt a été incinéré. La famille doit attendre la levée des mesures sanitaires pour récupérer les cendres. Selon la formule devenue banale en ces temps de crise, une cérémonie aura lieu ultérieurement.