Découverte d’une galerie militaire du XVIIIe siècle

  • Rue de l’Athénée, à Champel, un tronçon du réseau souterrain a été dévoilé début octobre.
  • Les galeries, bâties entre 1718 et 1730, faisaient partie d’un système de défense complémentaire des bastions.
  • Des passionnés luttent pour préserver ce patrimoine. Un appel aux dons et un projet de loi sont en cours.

  • Matthieu de la Corbière, directeur du Service de l’inventaire des monuments d’art et d’histoire, et le député Jean-Marc Guinchard devant l’entrée de la galerie de l’Athénée. STéPHANE CHOLLET

    Matthieu de la Corbière, directeur du Service de l’inventaire des monuments d’art et d’histoire, et le député Jean-Marc Guinchard devant l’entrée de la galerie de l’Athénée. STÉPHANE CHOLLET

  • STÉPHANE CHOLLET

  • Le plan des bastions et l'emplacement de la galerie (stylo) mise au jour début octobre. STÉPHANE CHOLLET

«Ces galeries d’écoute permettaient de savoir si l’ennemi était en train de creuser»

Matthieu de la Corbière, directeur du Service de l’inventaire des monuments d’art et d’histoire

C’est une étroite galerie où couraient les soldats. Un vestige méconnu des guerres contre le duc de Savoie. Et là, en creusant pour électrifier le CEVA (Cornavin–Eaux-Vives–Annemasse), la voilà! Début octobre, au milieu de la rue de l’Athénée, à Champel, les ouvriers des Services industriels de Genève (SIG) sont tombés sur ce souterrain construit au XVIIIe siècle. «Voilà presque trois siècles et ça n’a pas bougé!» s’émerveille le député Jean-Marc Guinchard, auteur d’un projet de loi (lire encadré) visant à protéger ce patrimoine genevois.

La galerie n’est pas large, 90 centimètres pour 1,90 mètre de haut. Du plafond formé d’une voûte en briques soutenue de part et d’autre par des murs en molasse s’échappent des racines. «Par bonheur, les SIG ont pris contact avec l’Office du patrimoine et des sites (OPS). D’habitude, quand un entrepreneur découvre une galerie de ce type, il la mure ou y coule du béton», poursuit Jean-Marc Guinchard. Il faut dire qu’à l’heure actuelle, aucune loi ne l’en empêche.

Nécessaire préservation

La galerie de l’Athénée aurait donc pu disparaître à tout jamais, comme la quasi-totalité de ce réseau de 8 kilomètres qui sillonne le sous-sol de la ville. Au grand dam de Matthieu de la Corbière, directeur du Service de l’inventaire des monuments d’art et d’histoire. Depuis 2009, ce passionné se bat aux côtés de la Direction de l’information du territoire pour sensibiliser les autorités, les experts et le grand public à la préservation de ce pan de l’histoire genevoise.

«Tout commence en 1715, raconte Matthieu de la Corbière. Genève décide alors d’améliorer son système de défense.» Une immense enceinte de 5,5 kilomètres de long couvre 51 hectares. Elle est composée de trois lignes de défense. Mais aussi d’un vaste réseau de galeries souterraines.

Bâti entre 1718 et 1730, il permettait aux soldats de circuler d’un bastion à l’autre en toute sécurité. Mais pas que. «La galerie majeure s’étendait sous le chemin de ronde. Elle était ponctuée de perpendiculaires, disposées telles les dents d’un peigne, indique Matthieu de la Corbière. Ces galeries d’écoutes, dites aussi galeries de contre-mines, permettaient de savoir si l’ennemi était en train de creuser mais aussi de faire exploser des mines pour le contrer.»

Des plans secrets

Les plans exacts demeurent à ce jour inconnus. Un secret bien gardé puisque les ouvriers qui ont creusé ces galeries ont dû jurer sur les évangiles de ne pas dévoiler ce sur quoi ils travaillaient. «Quant au seul plan qui existait, il a été saisi par la France en 1798 et déclaré perdu au milieu du XIXe siècle.»

En septembre 1849, le démantèlement des fortifications est acté. En surface: les bastions sont rasés, les fossés comblés. La ville s’agrandit, les nouveaux lieux de culte fleurissent, les boulevards se dessinent. Mais, que faire des souterrains? «On découvre alors que mendiants et malfaiteurs y ont élu domicile, souligne l’historien. La décision est alors prise de murer les entrées.» Jusqu’à la fin du XIXe siècle, adolescents et étudiants trouvent le moyen d’y pénétrer. Quelques graffitis, dont un de 1855, en témoignent. Puis, la densification fait son œuvre: les galeries disparaissent peu à peu au profit des caves, des égouts et des réseaux techniques. Il faudra attendre 1924 pour que l’archéologue Louis Blondel fasse resurgir les galeries de l’oubli. Il publie un article accompagné d’un plan reconstitué. «Mais, à l’époque, on ne juge pas utile de garder ce patrimoine», souligne Matthieu de la Corbière. Il faudra attendre 2009 et la découverte d’un de ces souterrains dans la cave d’un particulier pour que les historiens se penchent à nouveau sur ce patrimoine méconnu.

«Le temps presse»

«Désormais, on se bat pour le préserver», se réjouit le directeur du Service de l’inventaire. Et d’en appeler à l’aide de généreux donateurs pour conserver l’entrée vers la galerie de l’Athénée. «Le temps presse. On a besoin d’une dizaine de milliers de francs pour créer une trappe à cet endroit. Si on ne fait pas l’accès maintenant, il sera rebouché et tout cela sera perdu pour le siècle à venir», conclut Matthieu de la Corbière. L’association Objectif Genève a pris l’initiative de collecter les fonds.

«Dévoiler ce travail remarquable»

Le projet de loi remonte à avril 2018. Selon son auteur, le député Jean-Marc Guinchard, «le but est de rendre ces galeries au public. De dévoiler le travail remarquable fait par nos ancêtres.» Le texte prévoit que soit dressée une cartographie de ces ouvrages souterrains datant du XVIIIe siècle. Et que l’Etat «encourage toute mesure visant à rendre accessibles auprès du grand public les tronçons des ouvrages souterrains les plus remarquables». Pour l’heure, le projet de loi est à l’étude en commission du Grand Conseil.